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Une petite intro

 

2003_05_main

L’histoire de ma vie présente bien peu d’intérêt, même pour moi qui suis plus préoccupé par ce qui me reste à vivre que par ce que j’ai vécu, ou pour mes proches qui possèdent bien assez de briques communes à intégrer dans leur construction mémorielle.

Pourtant, ce matin du premier jour de décembre 2012, encore étendu sur mon lit en attendant que ma fenêtre sans volets se teinte des pâleurs de l’aube et laissant mon esprit gambader de leur liberté nocturne à la remise en perspective des activités de la journée à venir, l’idée de tenter l’écriture de cette histoire s’est développée à la façon du nuage nucléaire au dessus de Mururoa, lentement, violemment, impérativement. Je devais me lever toute rêverie cessante, ouvrir une page blanche de Word et … Rien.

L’interrogation était installée entre l’écran et le clavier : pourquoi, pour quoi, pour qui ? Les raisons inconscientes sont vraisemblablement nombreuses, de l’ordre du dernier défi, de la prolongation de l’ego dans l’espace et dans le temps, du bilan introspectif d’automne, du simple plaisir de s’exposer le nombril,… J’ai refermé bien vite les pages proposées par Google en réponse à la recherche que je lui soumettais : « motivation écrire autobiographie » : les motifs inconscients resteront forcément des hypothèses. Seules quelques bornes Michelin plus ou moins anciennes indiquent le chemin qui a conduit à la décision explosive. L’existence du petit web perso « mamimadi.net » qui reçoit mes humeurs hebdomadaires depuis treize ans (tiens ? je trouve que « treize » ne sonne pas bien, j’aurais préféré « quatorze » …), presque quatorze ans, donc. La lecture de « L’histoire de ma vie » de George Sand et de « Tristes tropiques » de Claude Lévi-Strauss, exposés d’existences, de fragments d’histoires et d’histoire, de morceaux plus ou moins larges de lieux, pays, continents, de parts de sentiments, de doutes, de conclusions. La prise de conscience venue du voisinage de la réapparition (en ce temps de crise peut-être, mais chaque période n’a-t-elle pas sa crise propre ?) des écrivains publics proposant à tout un chacun la rédaction d’une autobiographie. Bref, des bornes qui me disent que ma vie me donne aussi à écrire, à la fois si ordinaire et si unique, et que je peux écrire, certainement beaucoup moins bien que George ou Claude, mais peut-être pas plus mal que ma jeune voisine.

La décision prise, l’affaire me semble pourtant loin d’être gagnée. D’abord parce que j’ai comme tout le monde une mémoire très sélective qui se hâte d’effacer ou de placer hors de ma conscience les événements désagréables, qu’ils soient douloureux ou peu flatteurs. Mais surtout parce que deux traits me caractérisent particulièrement : la préférence de mon esprit à se tourner vers, non pas le futur vague et incertain, mais plutôt mes activités dans ce futur, et puis la faiblesse générale de ma mémoire qui ne conserve que ce qui lui semble utile pour ces activités. Je me souviens des expériences pénibles si elles me servent de leçon alors que j’ai oublié nombre de fêtes familiales heureuses ; je mémorise assez facilement les numéros de téléphone indispensables et les figures des danses de salon (exemple très actuel) alors que j’hésite toujours sur la date de naissance de mes enfants. Après courte réflexion, la problématique de « la mémoire et ses petits arrangements » ne me semble être un problème que pour l’écriture d’une biographie où l’objet exposé doit effectivement être posé hors du narrateur qui peut et doit être objectif. Une autobiographie étant par nature subjective, les faits qui y sont rapportés sont passés par la perception que le narrateur en a quand il les vit, filtrés ensuite par sa mémoire pour être finalement retranscrits à la lumière de son vécu ultérieur. Vu ainsi, un autobiographe pourrait se réjouir que sa narration dévoile finalement bien davantage que l’inaccessible « vérité vraie » en ouvrant des pistes plus diffuses mais beaucoup plus riches vers son esprit-en-fonctionnement dans la durée.

Premiers pas de danse

    La danse de salon me fournit une entrée comme une autre dans cette « histoire de ma vie ». Colette, qui m’accompagne depuis août 1968 – ça je m’en souviens en sachant que je confonds volontiers le 3 et le 4 à cause de l’école et de sa « nuit du 4 août » – Colette, donc, est rentrée à la maison voilà cinq ou six ans déjà en me disant avoir rencontré un prof de danse dynamique, sympathique et tout et tout. Pourquoi pas ? … Le temps de la retraite est un temps libre à occuper agréablement et utilement ; la danse semble pouvoir être une pratique agréable, délicatement sportive et fortement psychotonique. L’objection que cette proposition allait bloquer une soirée hebdomadaire sur un agenda jusque-là uniquement saupoudré de rendez-vous ponctuels décidés ou choisis au coup par coup restreindrait d’une certaine façon ma liberté de retraité n’a pas suffi à ne pas décider positivement : nous tenterions l’expérience.

    La danse ne m’est pas naturelle. D’une façon générale, il me semble toujours avoir eu des problèmes avec ma présence « à vide » en public : je ne sais pas sur quel pied danser quand je n’ai pas de raison de m’afficher, soit qu’on ne m’en ait pas donné, soit que je ne m’en sois pas trouvé. Lors d’une soirée étudiante sans les années 65, je crois me souvenir d’avoir boudé la piste de danse en m’excusant benoîtement. « Pardon, je le sens pas pour le moment … un jour sans doute … ». C’est peut-être ensuite que je me suis procuré un petit livret pour débutant recensant les pas de quelques danses. Tout petit, minuscule, bien loin même de « La danse pour les nuls ». Ou bien c’est avant si je repense à cette époque de mes 16-18 ans où les mariages étaient nombreux dans la famille, avec leurs bals bon enfant prolongeant un repas interminable. Je revois encore les petits dessins, suites de quatre empreintes de pas sur la page blanche, noires pour le danseur, blanches cerclées de noir pour la danseuse. Pas de liens dans ces suites tels qu’on pourrait en trouver maintenant dans les constructions informatiques, il fallait imaginer les transitions – mouvements et déplacements – entre les positions représentées. Des quelques essais d’apprentissage réalisés alors ne m’est restée vraiment que la valse, au pas de base simplissime aisément reproductible pour peu qu’ait été acquis une vitesse d’exécution suffisante ainsi qu’un déplacement contrôlé autour de la piste de danse. Cette micro autoformation m’a certainement procuré à l’époque un début d’aisance dans ce domaine sans pourtant me donner suffisamment de contenance pour que j’y trouve de l’intérêt : je n’avais rien à contenir, trouvant peu d’utilité à ces gestes plus ou moins syncopés, plus ou moins répétitifs, aux accents quelque peu grégaires et, au vu de tous ces aspects, vraisemblablement hors de ma nature. Une nature qui promenait de plus dans ma petite tête depuis mes années adolescentes un étendard à la Brassens : « Quand on est plus de quatre, on est une bande de cons » ; alors, une piste de danse …