La belle maison

J’avais trois ans lorsque mon père s’est mis à mouler les premiers parpaings pleins pour construire sa maison avec – petite bizarrerie dans l’environnement proche – pignon sur rue. Si le jardin semblait immense à nos petites jambes, la maison ne l’était pas vraiment. Deux petites chambres, une cuisine-séjour, un cabinet de toilette tout en longueur et les WC dans la cour. La toiture en tuiles – autre bizarrerie au milieu des ardoises environnantes – abritait également un petit magasin et un atelier. La devanture du magasin proposait des appareils ménagers et des vélos tandis que ses magnifiques rayonnages rouges et bois vernis tentaient de contenir de quoi les réparer et les entretenir. La petite caisse était placée tout près de la porte venant de la cuisine, pas très loin non plus, vu les dimensions du local, de la porte donnant sur l’atelier. De cet espace destiné à la réparation, je me souviens principalement de l’établi dont je pense qu’il avait déjà beaucoup servi ailleurs et de son incroyable étau, énormes mâchoires si peu précises, immense levier de serrage invitant aux gestes amples et longue lame de ressort descendant à mi-hauteur. Peu de souvenirs de cet atelier. L’image de mon père en bleu à cotte et bretelles, béret et cigarette ; le souvenir de « Mimile », poivrot pas méchant sinon sympathique proposant régulièrement ses moules « au litre » devant le portail vitré en bois de chêne. Mimile … Quelques surnoms de Turballais plus ou moins « exotiques » de l’époque me reviennent : Mouchedu, Zaf, Mitraillette.

Nous avions le chauffage central, je veux dire bien sûr un appareil de chauffage au centre de la maison. C’était une cuisinière fonctionnant au fioul, avec plaque de fonte, four et réserve d’eau chaude sur le côté. J’ai toujours aimé me lever tôt et comme j’étais souvent le premier levé, il me revenait d’allumer la cuisinière chaque matin d’hiver. Ouvrir le robinet du réservoir installé dans l’atelier, basculer l’écoulement du fioul vers le brûleur sur celui des deux conduits qui n’avait pas servi la veille, y déverser un peu d’alcool à brûler, l’enflammer à l’aide d’une allumette jetée par une trappe ménagée dans la fonte supérieure, ouvrir enfin le robinet pour que le combustible s’écoule en goutte à goutte, à la fréquence nécessaire pour le chauffage souhaité. Presque du grand art ! L’appareil chauffait bien. Je ne me souviens pas d’avoir souffert du froid à cette époque malgré des hivers qui me semblent avoir été bien plus froids que ceux d’aujourd’hui. Lorsque l’un des trois puis quatre enfants était malade, il avait droit à un couchage dans la cuisine alors chauffée durant toute la nuit. Le four séchait les chaussettes au retour de l’école ; il chauffait aussi parfois la brique qui, une fois enveloppée de papier ou de linge, aidait à l’installation du fiévreux ou du douillet d’un soir dans la froidure des draps. Quelques alertes de fonctionnement sont pourtant restées en mémoire, comme ce jour où l’emballement ronflant du chauffage a fait rougir la fonte, battre les cœurs et fait fuir tout le monde dans la froidure du jardin.