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Pompon le poney

Qui, dans la famille, eût l’idée d’acheter un poney ? Sans doute un peu tout le monde, dans un grand consensus pour aller dans le sens du vent : Chrystel, notre grande seconde, avait commencé des cours d’équitation, nous pouvions louer le terrain jouxtant notre propriété et l’un de nos clients était vendeur d’un jeune « grand poney ». Le fringant animal se retrouva donc rapidement à portée de main dans sa pâture, un nom original lui fut attribué là aussi à l’unanimité, un abri fut construit pour le protéger à la fois des rayons trop ardents de l’été (eh oui, nous sommes quand même en Bretagne Sud) et des froidures hivernales (eh oui, bien que nous soyons en Bretagne Sud). Licol, bride et selle furent approvisionnés et le dressage put commencer. Pompon était un mâle, non castré, tout à fait brut de fonderie, et je n’y connaissais bien évidemment rien, mais je compensais par – comment dire – un rapport de poids qui lui interdisait de ruer quand je le montais  couplé à la force de persuasion d’un béotien qui n’aurait pas supporté toute velléité de désobéissance. L’animal comprit rapidement mes ordres basiques pourtant forcément approximatifs : en avant, virage à droite, virage à gauche, arrêt. Après quelques jours Chrystel prit le risque de le monter, avec quelque succès mais aussi quelques frayeurs car sa bien meilleure technique n’a pas toujours compensé le moindre poids ; elle s’est ainsi retrouvée à plusieurs reprises au tapis à la suite de ruades dignes des meilleurs rodéos hollywoodiens.

Petit à petit Pompon prit sa place de deuxième animal familier de la maison, après Chouf, notre chien qui semblait ne l’apprécier d’ailleurs que modérément si on peut traduire ainsi ses aboiements énervés lorsque le poney montrait sa tête et son regard malin au portail grillagé séparant les deux espaces. Il avait bien de quoi se nourrir des différentes herbes et plantes de sa pâture durant la belle saison et nous lui portions du foin et des betteraves pour l’aider à passer l’hiver. Nous le surprenions parfois à faire de grandes cavalcades dans toutes les dimensions du terrain comme s’il voulait nous signifier son exiguïté. Il s’en est d’ailleurs enfui à une dizaine de reprises, profitant d’une barrière mal fermée ou plus vraisemblablement de son ouverture par de jeunes et bien mauvais plaisantins. Il est toujours parti dans la direction des marais salants qui l’ont vu naître, trottant sur la route crinière haute, piétinant quelques jardins fleuris au passage. La capture était à la fois difficile et hyper simple : comme il s’esquivait en permanence pour rester à « bonne » distance, il suffisait de pouvoir lancer la corde assez loin et assez précisément pour que son extrémité retombe sur son échine et y reste posée ; instantanément le fugueur demeurait immobile et soumis.

Pompon était malin – je l’ai déjà dit – et nous n’avions pas voulu le castrer, trouvant cette pratique quelque peu inhumaine pour un poney :- ) ; ce qui faisait que son approche pouvait être dangereuse, ruade et morsure étant toujours possibles. Il lui est ainsi arrivé de soulever de terre notre aînée Myriam, lui laissant une belle meurtrissure sur le ventre. Une amie, fervente pratiquante d’équitation, mit un jour sa bombe et prit sa cravache pour tester les capacités de notre brave poney. Je n’y connaissais pas grand chose en psychologie équine, mais je sentis bien que la séance était tendue, notre amie cravachant les flans de Pompon comme jamais je n’aurais osé le faire. Alors que, l’animal déharnaché et libéré, nous rentrions en devisant sur le déroulement de l’expérience, il s’est approché par l’arrière de notre groupe de quatre personnes pour mordre l’épaule  … de sa cavalière du jour.

Il fallut donc nous résoudre à le faire castrer, trop tardivement sans doute – l’occasion de se persuader que les bons sentiments ne sont pas forcément de bon conseil. Les saisons succédèrent alors aux saisons, chaque hiver voyant revenir le long pelage qui se détachait en larges touffes pendant les beaux jours. Et puis nous nous en sommes un peu moins occupé, l’avons sans doute un peu délaissé, absorbés à d’autres jeux, activités, travaux ou préoccupations… Un appel téléphonique de mon plus proche voisin m’alerta un jour : « Ton poney ne bouge plus…« . Il ne bougeait plus, effectivement, emporté par ce qui nous a paru être une boulimie dont nous ignorions la cause mais que nous aurions pu détecter plus précocement avec un peu plus d’attention. Adieu Pompon !

Tabagisme

J’ai été un grand fumeur, mon histoire est banale sur ce plan-là. J’ai dû commencer péniblement au lycée, j’écris péniblement parce que je ne me souviens d’aucun grand ou petit plaisir éventuellement éprouvé à l’exercice, plutôt du mauvais goût laissé par les gauloises sans filtre ou les levées de cœur provoquées par quelques bouffées de la pipe de mignon que je m’était achetée. Mais la vie adulte nous attendait derrière ces écrans de fumée, nous n’en doutions pas.

Le paroxysme du tabagisme lycéen fut atteint en terminale : nous fumions en classe. Il faut dire que notre classe était spéciale puisque nous étions les cobayes d’une expérience voulue et pilotée par un abbé, éminent penseur de la sphère catholique, le Père Daniel Hameline. Les onze élèves de notre groupe de Sciences Expérimentales, d’une part, ainsi que quinze autres de Philosophie étaient placés en autodiscipline, c’est-à-dire, concrètement, livrés à eux-mêmes, libres d’aller et venir entre ce qui ne pouvait plus vraiment s’appeler leur classe puisque ne venaient que les profs qu’ils invitaient ponctuellement, le parc, les labos et même l’extérieur de l’établissement une fois la sortie signalée néanmoins. Libres, nous fumions. Nous fumions tant que certains profs n’acceptaient plus de venir donner leur cours et qu’au deuxième trimestre, la direction nous mit en demeure de nettoyer les vitres devenues opaques avant la venue d’une éminence en quête d’infos sur l’expérience (et accessoirement de virer le corbeau blessé que nous hébergions et nourrissions…)

Le pli tabagique était pris et s’est renforcé pendant la période étudiante. Deux paquets de gauloises quotidiens étaient courants, des gitanes parfois, ou des fontenoy, ou même des royal menthol pour faire plus soft. Pendant mes deux années algériennes, le gros brun national m’a bien un peu manqué, mais la pénurie fait apprécier ce qu’on a sous la main et j’ai grillé allègrement les cigarettes locales.

C’est peut-être avec l’arrivée des enfants que les premières envies sérieuses d’arrêter de fumer ont commencé à me tourmenter. Et Dieu sait que je me suis arrêté souvent… et reparti aussi souvent, bien sûr. Je crois avoir cessé quand même pendant près d’un an – que dis-je ? près d’une année, c’est plus long, non ? – avant la naissance de Gwenaël, notre petit dernier. Mais la naissance dans des conditions délicates sur la table de notre séjour m’avait laissé dans un tel état d’abandon fébrile que j’ai accepté la cigarette tendue par le médecin accoucheur qui me conduisait à la maternité à la suite de l’ambulance transportant la mère et son bébé. Ouf ! Et c’était reparti pour de longues années encore …

Les années ont passé sans amélioration notable de mon addiction, sinon peut-être l’adoption plus systématique de la cigarette à bout filtre et puis surtout l’adoption à un moment que je ne saurais déterminer avec précision de la bouffarde pure et dure, celle qu’il convient de bourrer avec amour, de culotter avec patience, de mâchouiller avec tendresse, de curer sans violence et de fumer avec l’air du vieux sage. Ce virage s’est fait dans le temps même où s’intensifiaient mes navigations, et ça tombait bien puisque le fourneau de la pipe évitait de semer la cendre un peu partout dans le bateau, évitait d’exposer les voiles à tout tison fugueur et formait un point chaud pour mes petites mains souvent aux prises avec la froidure. Et j’en ai tassé du tabac, du clan, de l’amsterdamer, du scheepers, du saint-claude ! Et j’en ai cassé des pipes, rongées d’un bout à force de les mordre, fêlées de l’autre à force de les frappoter pour les vider…

Un jour, assez brutalement, après des années d’inactivité sportive, j’ai voulu me remettre à courir, comme ça, pour perdre du poids, récupérer un peu de capacité pulmonaire et de rythme cardiaque. J’ai compris dès la première sortie qu’on ne peut pas respirer pleinement et fumer dans le même temps et que l’essai ne se poursuivrait qu’avec l’arrêt complet du tabac. Difficile ? Difficile, oui, mais ma détermination était grande puisque deux magnifiques inflammations assez douloureuses des tendons d’Achille n’en sont pas venues à bout. Le Dieu-des-fumeurs-qui-veulent-arrêter m’a quand même bien aidé : alors que je me languissais de devoir mettre ma vieille pipe au rancart et que je la tapotais avec un peu de nostalgie hésitante sur le tableau arrière de Scipio, son fourneau est tombé à la mer. Périe en mer, ma pipe, quelle belle fin pour une pipe de marin, non ? Dans l’instant qui a suivi, je savais qu’elle serait la dernière…

Service national

À dix-huit ans j’étais antimilitariste, viscéralement, sans beaucoup de réflexion préalable. « C’est pas bien la guerre« , point. J’avais grandi aux milieu de quelques échos de la guerre d’Algérie, un peu affolé de voir qu’elle n’en finissait pas et que le moment approchait où je devrais y aller à mon tour. Merci mon Général. Après mes trois jours dans la caserne de Blois, trois journées dites de sélection, mon aversion s’étoffa du dégoût du milieu militaire lui-même dans lequel j’ai vu une machine à pas penser servie par des gens dont la valeur principale résidait dans l’habit. Je n’étais pas le seul dans cet état d’esprit. Après les tests, la trentaine d’heureux sélectionnés dut subir la harangue d’un petit gradé les invitant à s’engager chez les les E.O.R., les « Élèves Officiers de Réserve ». Devant la salle mutique et négative, le petit homme devint tout rouge, s’enflamma : « Quoi ? Personne ? La coopération ? C’est ce que vous voulez faire, la coopération ? Mais il y en a marre de la coopération !« .

Il voyait juste : la « Coopération » déployée par la France dans certains pays demandeurs était le choix des « Volontaires au Service National Actif « . Pour les autres appelés, je ne sais pas, mais pour moi elle était l’espoir d’éviter la caserne, ses alignements d’obéissants, ses corvées (dé)formatrices, ses paquets de gauloises sans filtres, son abêtissement dans la sous-culture (le visionnage pendant ces trois jours au sein de la caserne de « Cause toujours mon lapin« , avec Eddie Constantine, ne m’a pas rassuré sur ce point), bref, tout ce que je supposais indispensable à la constitution d’un bon soldat et particulièrement néfaste à celle de citoyen.

Par bonheur, mes études m’avaient permis de repousser l’incorporation. J’étais sursitaire et ce petit sursis m’avait de plus donné une chance supplémentaire d’y couper, me fournissant un métier très demandé par les  instances gérant les VSNA : l’enseignement. Dès ma première année d’enseignement comme prof de physique au lycée Saint-Louis de Saint-Nazaire, j’ai donc déposé ma candidature, demande finalement non acceptée alors que, de façon très optimiste,  j’avais déjà démissionné de mon poste pour l’année suivante. Je grondais déjà dans ma barbe naissante que si je ne pouvais pas éviter l’incorporation, je me déclarerais objecteur de conscience, préférerais la prison où j’aurais beaucoup de temps pour me cultiver plutôt que la caserne où je m’ensauvagerais dans le même temps, …

Je ne me souviens plus pourquoi, j’eus droit à une deuxième chance. Deux demi-postes d’enseignement m’ont été donnés au lycée Saint-Charles d’Angers et au lycée-collège de La Salle de Vihiers, me permettant de présenter une deuxième demande comme VSNA. Mais, pour assurer le coup cette fois, mon père m’a proposé d’en parler à l’un de ses clients, banquier autoproclamé puissant et effectivement reconnu tel par le petit peuple. Le piston, j’exècre. Mais entre deux détestations, il faut bien choisir et, ravalant ma honte, j’ai laissé mon père demander humblement l’intervention de notre seigneur (et pas tout à fait maître, faut pas exagérer …). Piston efficace ou pas ? Toujours est-il que la seconde fois fut la bonne et qu’il me fut permis à la rentrée suivante d’embarquer pour l’Algérie avec femme et enfant pour y effectuer un Service National sans aucun relent militaire. Formidable, n’est-il pas ?