Des regrets ?

S’il m’arrive souvent de me proposer de « faire mieux la prochaine fois« , je ne suis jamais tenté de me dire « ah ! si c’était à refaire …« . Les regrets venus d’actions non reproductibles ne sont pas des leçons  tirées d’actions potentiellement renouvelables. Cette petite intro pour signifier que si je ne suis pas fier de beaucoup d’aspects de mon existence, je n’en suis pas honteux non plus au point de vouloir les gommer et tenter une impossible remise à zéro. Il suffit de laisser le temps faire son travail de stratificateur, sereinement.

L’un de ces serrements de cœur concerne l’attention que j’ai porté à mes enfants, une attention légère, un peu lointaine, peut-être insuffisante. Ils ont été trois mais je crois que j’aurais accepté quatre ou cinq sans prêter plus d’importance que ça à l’accroissement des contraintes ou à la diminution de mes revenus. Je trouve bien sûr des tas d’explications à mon relatif détachement. L’étouffante immersion dans notre entreprise familiale, la quasi systématique évasion océanique des fins de semaine, la présence d’une mère attentive et compétente, l’absence de gros problèmes, … Je me sentais un peu comme le skipper d’un équipage naviguant par temps de demoiselle : laisser l’équipage à la manœuvre en lui signifiant juste qu’il est bien à bord au cas où.

Mais, temps de demoiselle ou pas, ma participation à la navigation aurait quand même pu être plus active. Je me souviens par exemple de la honte éprouvée lorsque, un jour de panne de transports scolaires, j’ai déposé ma fille Chrystel devant l’entrée du collège Saint-Jean-Baptiste de Guérande alors qu’elle était passée depuis quelque temps au lycée Grand-Air de La Baule. Je le savais bien sûr, mais sans l’avoir tout à fait intégré.

C’est principalement pendant les vacances que nous nous retrouvions vraiment, les enfants et moi, c’est du moins ces périodes plus festives que j’ai gardées le plus en mémoire. Afin de poursuivre plus confortablement notre aventure algérienne, nous avions acheté un fourgon Ford Transit ; l’Algérie quittée plus tôt que prévu, j’avais aménagé le fourgon pour pouvoir nous transporter tous les cinq (les normes de sécurité n’y étaient pas vraiment, même si elles étaient moins draconiennes que les normes actuelles), nous abriter, nous coucher, nous donner la possibilité de cuisiner. Avec lui, nous partions une semaine à la neige pendant les vacances de Noël, dans le Massif Central du côté de Chastreix, puis à l’Hospitalet de Barèges dans les Pyrénées. Avec lui, à la fin de l’été, pendant les deux semaines coincées entre le départ des touristes et la rentrée des classes, nous avons fait plusieurs tours de France, jusqu’en Corse, avec un décentrement bien naturel vers le Sud et son soleil.

Je me rends compte maintenant que la durée des vacances familiales et ma disponibilité auprès des enfants en général aurait été bien supérieures si j’étais resté dans l’enseignement. Lorsque j’y suis revenu, ils avaient quitté la maison et n’avaient plus besoin de moi depuis longtemps. Je me dis que, finalement, grâce à moi ou pas, leur éducation n’a pas été si mauvaise, éduquer signifiant littéralement, je crois, « conduire au dehors« , amener à l’autonomie, à ce que les enfants n’aient plus besoin de nous. N’est-ce pas ?