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Grand-mère paternelle

Bizarrement, je ne me souviens plus de ma grand-mère de La Turballe, ma grand-mère paternelle, malgré une place de préféré auprès d’elle à ce qu’on m’a rapporté bien plus tard. Je revois la grande maison cubique de la « Grande-douve » – j’ai été surpris bien plus tard de la constater si petite, difficilement capable d’abriter les onze tantes et oncles qui y avaient pourtant logé, sans doute pas tous en même temps, les aîné(e) ayant dû quitter le nid pour faire de la place et commencer à gagner un peu de sous pour eux-mêmes et pour la famille.

Je devais avoir quatre ou cinq ans. Les images qui me restent sont celles d’une dame légèrement souriante, la coiffure argentée dressée en chignon, plutôt assise tandis que l’ainée de mes tantes s’employait pour tous. Je revois cette dernière en train de laver la vaisselle à l’eau bouillante produite par la cuisinière à charbon, la lavette offrant une maigre protection contre l’ébouillantement des mains.

Je me souviens d’avoir manipulé des osselets, sans doute de vrais ossements d’animaux, dans une sorte de jeu dont j’ai dû toujours ignorer les règles. Une scène d’épouvante s’est gravée dans ma mémoire le jour, où, la pluie tombant à verse, un monstre m’est apparu cavalcadant sur la route : « Un orage ! Rentrons vite ! » a crié la tante déjà citée ; j’ai compris bien plus tard, trop tard sans doute, que deux personnes courant l’une derrière l’autre sous le même imperméable n’est pas un monstre qu’on aurait appelé orage.

Pompon le poney

Qui, dans la famille, eût l’idée d’acheter un poney ? Sans doute un peu tout le monde, dans un grand consensus pour aller dans le sens du vent : Chrystel, notre grande seconde, avait commencé des cours d’équitation, nous pouvions louer le terrain jouxtant notre propriété et l’un de nos clients était vendeur d’un jeune « grand poney ». Le fringant animal se retrouva donc rapidement à portée de main dans sa pâture, un nom original lui fut attribué là aussi à l’unanimité, un abri fut construit pour le protéger à la fois des rayons trop ardents de l’été (eh oui, nous sommes quand même en Bretagne Sud) et des froidures hivernales (eh oui, bien que nous soyons en Bretagne Sud). Licol, bride et selle furent approvisionnés et le dressage put commencer. Pompon était un mâle, non castré, tout à fait brut de fonderie, et je n’y connaissais bien évidemment rien, mais je compensais par – comment dire – un rapport de poids qui lui interdisait de ruer quand je le montais  couplé à la force de persuasion d’un béotien qui n’aurait pas supporté toute velléité de désobéissance. L’animal comprit rapidement mes ordres basiques pourtant forcément approximatifs : en avant, virage à droite, virage à gauche, arrêt. Après quelques jours Chrystel prit le risque de le monter, avec quelque succès mais aussi quelques frayeurs car sa bien meilleure technique n’a pas toujours compensé le moindre poids ; elle s’est ainsi retrouvée à plusieurs reprises au tapis à la suite de ruades dignes des meilleurs rodéos hollywoodiens.

Petit à petit Pompon prit sa place de deuxième animal familier de la maison, après Chouf, notre chien qui semblait ne l’apprécier d’ailleurs que modérément si on peut traduire ainsi ses aboiements énervés lorsque le poney montrait sa tête et son regard malin au portail grillagé séparant les deux espaces. Il avait bien de quoi se nourrir des différentes herbes et plantes de sa pâture durant la belle saison et nous lui portions du foin et des betteraves pour l’aider à passer l’hiver. Nous le surprenions parfois à faire de grandes cavalcades dans toutes les dimensions du terrain comme s’il voulait nous signifier son exiguïté. Il s’en est d’ailleurs enfui à une dizaine de reprises, profitant d’une barrière mal fermée ou plus vraisemblablement de son ouverture par de jeunes et bien mauvais plaisantins. Il est toujours parti dans la direction des marais salants qui l’ont vu naître, trottant sur la route crinière haute, piétinant quelques jardins fleuris au passage. La capture était à la fois difficile et hyper simple : comme il s’esquivait en permanence pour rester à « bonne » distance, il suffisait de pouvoir lancer la corde assez loin et assez précisément pour que son extrémité retombe sur son échine et y reste posée ; instantanément le fugueur demeurait immobile et soumis.

Pompon était malin – je l’ai déjà dit – et nous n’avions pas voulu le castrer, trouvant cette pratique quelque peu inhumaine pour un poney :- ) ; ce qui faisait que son approche pouvait être dangereuse, ruade et morsure étant toujours possibles. Il lui est ainsi arrivé de soulever de terre notre aînée Myriam, lui laissant une belle meurtrissure sur le ventre. Une amie, fervente pratiquante d’équitation, mit un jour sa bombe et prit sa cravache pour tester les capacités de notre brave poney. Je n’y connaissais pas grand chose en psychologie équine, mais je sentis bien que la séance était tendue, notre amie cravachant les flans de Pompon comme jamais je n’aurais osé le faire. Alors que, l’animal déharnaché et libéré, nous rentrions en devisant sur le déroulement de l’expérience, il s’est approché par l’arrière de notre groupe de quatre personnes pour mordre l’épaule  … de sa cavalière du jour.

Il fallut donc nous résoudre à le faire castrer, trop tardivement sans doute – l’occasion de se persuader que les bons sentiments ne sont pas forcément de bon conseil. Les saisons succédèrent alors aux saisons, chaque hiver voyant revenir le long pelage qui se détachait en larges touffes pendant les beaux jours. Et puis nous nous en sommes un peu moins occupé, l’avons sans doute un peu délaissé, absorbés à d’autres jeux, activités, travaux ou préoccupations… Un appel téléphonique de mon plus proche voisin m’alerta un jour : « Ton poney ne bouge plus…« . Il ne bougeait plus, effectivement, emporté par ce qui nous a paru être une boulimie dont nous ignorions la cause mais que nous aurions pu détecter plus précocement avec un peu plus d’attention. Adieu Pompon !

Chouf le chien !

Chouf fut le sixième personnage de la famille durant la décennie qui a suivi notre retour de la virée algérienne. Elle venait d’une portée de bergers allemands d’une ferme du Maine-et-Loire et son nom aurait pu être n’importe laquelle des interjections régulièrement entendues pendant les deux années de notre séjour dans les Aurès. Salam, ouachrak, chouïa, wallou … ce fut Chouf, regarde ! Elle logeait dans notre atelier, sous l’établi et se trouvait donc presque continuellement en ma présence. Assez tôt, je l’emmenais lors de chacun de mes déplacements, dans le fourgon aménagé que nous possédions à l’époque ; elle devait pressentir chaque déplacement en même temps que je le décidais, se glissant rapidement entre mes jambes, grimpant le marche-pied et se lovant derrière le siège conducteur. Un jour, m’apercevant de son absence au retour d’un achat au bureau de tabac et parcourant le chemin inverse, je l’ai retrouvée attendant sagement mon retour sur le pas de la porte de l’échoppe. Ses erreurs étaient rares pourtant. L’un de ses plus graves écarts se produisit ce jour où, m’accompagnant chez un client « à la campagne », je la retrouvai coursant une dizaine de brebis affolées, le regard fou, les crocs encombrés de laine, totalement insensible à mes appels ; je dus m’interposer physiquement entre elle et les moutons pour qu’elle revienne instantanément sur terre, regagnant sa place, la queue basse et le regard contrit.

Elle accompagnait évidemment les déplacements de la famille, avait sa place à la Buissonnière où nous passions quelques week-ends, pouvait stationner dans la cour de mamie Jo qui n’aimait pourtant pas particulièrement les animaux. Elle accompagnait nos vacances, vacances d’été bien sûr mais vacances d’hiver à la neige également. Colette – ou bien était-ce mamie Solange – lui avait confectionné un harnais de toile permettant d’utiliser ses capacités de tracteur à quatre pattes pour remonter la luge des enfants. Le fourgon était son abri pendant toute la durée de notre séjour ; elle en était le gardien et s’employait à le faire savoir par de petits grognements aux passants qu’elle estimait trop proches, fussent-ils des gendarmes intrigués par ce fourgon dont la porte conducteur était laissée entrebâillée …

À la fin des années 80, elle était du voyage « retour vers les Aurès » que nous fîmes avec un couple dont le mari était ancien de l’Algérie, véritable ancien, lui, de ceux qui ont connu les « événements ». L’Algérie avait changé d’ère et la déception l’emporta sur la nostalgie, mais, concernant notre Chouf, je revois encore ce pompiste me demandant, après m’avoir enjoint de retirer le bouchon de mon réservoir : « Vous le vendez combien votre chien ?« . Ou bien encore la tête des douaniers un tantinet énervés par les grognements et m’intimant : « Faites descendre les femmes et le chien ! »

Seul le bateau dépassait ses possibilités d’accompagnement. Elle s’y trouvait totalement désemparée, roulant sur ses pattes, glissant sur ses griffes. Pas malade, non, simplement hors d’état. Elle le voulait pourtant, jusqu’à parvenir un jour à se faufiler dans l’entrebâillement de la porte du fourgon laissé en stationnement  sur une rive de la Vilaine, et parcourir dans une eau pas chaude du tout la centaine de mètres la séparant du bateau.

Sa vie à La Turballe était plutôt paisible. Elle avait bien compris l’accès interdit au trottoir, se laissant quand même emporter quelquefois par les minauderies provocatrices d’un chat de passage. Je la revois frétillant d’impatience devant les paniers posés sur les porte-bagages des cyclomoteurs des pêcheurs ramenant leur godaille, arrêtés devant notre petit distributeur de carburant pour moteurs deux-temps ; quelques uns lui tendaient bien une sardine ou même un maquereau, mais je la soupçonne malgré tout d’avoir elle-même prélevé à maintes reprises les poissons lorgnés. Elle avait compris également les droits d’accès qu’avaient les clients : accès libre au magasin ainsi qu’au pas de l’atelier, accès contrôlé par quelques grognements croissants au fur et à mesure de la proximité avec l’établi, accès strictement interdit au jardin qui prolongeait les bâtiments. Je vis un jour une dame traverser l’atelier et se diriger vers le jardin pensant vraisemblablement y trouver un interlocuteur. Indigné de tant d’audace, Chouf a bondi, poussé une gueulante et poursuivi l’intruse, laquelle s’est retournée, a claqué un ferme « Toi, ta gueule ! » qui a stoppé net notre brave chien de garde et l’a réduit en simple toutou contraint de rentrer à la niche. La scène m’a rappelé cette promenade près des remparts de Carcassonne au cours de laquelle notre Chouf préféré s’est mis à courser un gros chat noir ; las de fuir ou ayant pris la mesure exacte du danger, le chat fit volte-face, hérissé de tous ses poils, les griffes saillantes, des éclairs dans les yeux, largement de quoi convaincre notre sage toutou que le jeu n’en valait finalement pas la chandelle.

Je n’ose avouer que j’ai un peu oublié la façon dont notre chien a quitté sa condition de fidèle compagnon. Il est mort de vieillesse, c’est bien sûr, une vieillesse sans doute accélérée par l’énorme choc provoqué par une voiture alors qu’il traversait une petite route pour rejoindre son poste dans le fourgon dont j’avais eu le tort de lancer le moteur. Il me semble l’avoir retrouvé inerte, un matin, à l’ouverture de mon atelier. Bêtement, j’ai pleuré …