Service national

À dix-huit ans j’étais antimilitariste, viscéralement, sans beaucoup de réflexion préalable. « C’est pas bien la guerre« , point. J’avais grandi aux milieu de quelques échos de la guerre d’Algérie, un peu affolé de voir qu’elle n’en finissait pas et que le moment approchait où je devrais y aller à mon tour. Merci mon Général. Après mes trois jours dans la caserne de Blois, trois journées dites de sélection, mon aversion s’étoffa du dégoût du milieu militaire lui-même dans lequel j’ai vu une machine à pas penser servie par des gens dont la valeur principale résidait dans l’habit. Je n’étais pas le seul dans cet état d’esprit. Après les tests, la trentaine d’heureux sélectionnés dut subir la harangue d’un petit gradé les invitant à s’engager chez les les E.O.R., les « Élèves Officiers de Réserve ». Devant la salle mutique et négative, le petit homme devint tout rouge, s’enflamma : « Quoi ? Personne ? La coopération ? C’est ce que vous voulez faire, la coopération ? Mais il y en a marre de la coopération !« .

Il voyait juste : la « Coopération » déployée par la France dans certains pays demandeurs était le choix des « Volontaires au Service National Actif « . Pour les autres appelés, je ne sais pas, mais pour moi elle était l’espoir d’éviter la caserne, ses alignements d’obéissants, ses corvées (dé)formatrices, ses paquets de gauloises sans filtres, son abêtissement dans la sous-culture (le visionnage pendant ces trois jours au sein de la caserne de « Cause toujours mon lapin« , avec Eddie Constantine, ne m’a pas rassuré sur ce point), bref, tout ce que je supposais indispensable à la constitution d’un bon soldat et particulièrement néfaste à celle de citoyen.

Par bonheur, mes études m’avaient permis de repousser l’incorporation. J’étais sursitaire et ce petit sursis m’avait de plus donné une chance supplémentaire d’y couper, me fournissant un métier très demandé par les  instances gérant les VSNA : l’enseignement. Dès ma première année d’enseignement comme prof de physique au lycée Saint-Louis de Saint-Nazaire, j’ai donc déposé ma candidature, demande finalement non acceptée alors que, de façon très optimiste,  j’avais déjà démissionné de mon poste pour l’année suivante. Je grondais déjà dans ma barbe naissante que si je ne pouvais pas éviter l’incorporation, je me déclarerais objecteur de conscience, préférerais la prison où j’aurais beaucoup de temps pour me cultiver plutôt que la caserne où je m’ensauvagerais dans le même temps, …

Je ne me souviens plus pourquoi, j’eus droit à une deuxième chance. Deux demi-postes d’enseignement m’ont été donnés au lycée Saint-Charles d’Angers et au lycée-collège de La Salle de Vihiers, me permettant de présenter une deuxième demande comme VSNA. Mais, pour assurer le coup cette fois, mon père m’a proposé d’en parler à l’un de ses clients, banquier autoproclamé puissant et effectivement reconnu tel par le petit peuple. Le piston, j’exècre. Mais entre deux détestations, il faut bien choisir et, ravalant ma honte, j’ai laissé mon père demander humblement l’intervention de notre seigneur (et pas tout à fait maître, faut pas exagérer …). Piston efficace ou pas ? Toujours est-il que la seconde fois fut la bonne et qu’il me fut permis à la rentrée suivante d’embarquer pour l’Algérie avec femme et enfant pour y effectuer un Service National sans aucun relent militaire. Formidable, n’est-il pas ?