Scipio

Les années 80 furent les années Scipio. Après l’acquisition d’un dériveur , puis d’un voilier habitable de 7,1 mètres environ, l’envie était grande de passer « au mètre supplémentaire » pour pouvoir faire naviguer une famille de cinq personnes avec un certain confort et surtout une certaine sécurité. Un mètre de plus en longueur, ça peut sembler n’être pas grand chose, mais ça voulait dire pour deux bateaux de plans très différents cinquante centimètres de plus en largeur et un volume habitable au moins deux fois supérieur. J’ai cherché, hésité longtemps, entre le plastique, l’alu et le bois, entre les coques en forme et les coques à bouchain, entre les dériveurs, les quillards et les dériveurs lestés, entre du neuf et de l’occasion. Sur chaque possibilité étaient épinglés  les avantages et les inconvénients, les unes et les autres prenant plus ou moins d’importance en fonction de la considération du jour, un jour de gros temps suggérant plutôt un bon quillard, une envie de flânerie dans les cailloux suggérant plutôt un dériveur, et l’arrivée du relevé de banque imposant de l’occasion.

Le bateau de mes rêves avait longtemps été l’Arpège, un quillard en bon plastique de 9 mètres, mais il commençait déjà à être démodé avec son cul un peu étroit et son volume sans ampleur ; deux mètres de plus en longueur en plus faisait moins que doubler le volume intérieur. L’Ovni 28, un dériveur intégral en alu, me paraissait robuste et confortable mais il était un peu l’anti-Arpège, n’ayant ni son élégance ni son mordant dans la piaule ; son prix n’était pas non plus trop adapté à notre compte en banque … C’est la vente d’une petite propriété héritée par Colette qui devait constituer le gros de l’apport, douze millions des francs de l’époque qui, augmentés de quelque trois millions disponibles ou aisément trouvables devraient faire l’affaire. Je cherchais dans la gamme des 28 pieds, soit 8,5 mètres de coque environ (Dufour 28, Gibsea 28, Kelt 9, Sauvignon de chez Aubin), tout en lorgnant vers des bateaux voguant dans la  cour inférieure (Kelt 8, Aquila). Je finissais par me faire une raison en abandonnant mes rêves de « grand » bateau décidément hors de prix lorsqu’une annonce dans une revue spécialisée – Bateaux ou Voiles et Voiliers peut-être – proposait un Sauvignon super équipé d’à peine un an pour 17 MF. Je n’en revenais pas. Je me souviens encore du petit vertige ressenti à l’ouverture du capot, la grande descente en bois rouge vers le carré, profond, large, volumineux, tout en bois lui aussi. À n’en pas douter, c’était un bon canote.

Il prit bien vite du service, en équipage ou en solo, visitant régulièrement les îles, nos îles à nous – Hoëdic, Houat, Belle-Ile -, poussant parfois plus loin vers Yeu ou les Glénans, et même beaucoup plus loin, du cap Finisterre en Espagne à Kinsale en Espagne en passant par les Scillys et les Anglo-Normandes. Il a bien sûr vieilli aujourd’hui ; comme son skipper, c’est étrange. Il n’est plus assez solide pour affronter le gros temps suffisamment sereinement comme il le faisait en ces années 80 ; comme son skipper, hélas. Un bateau devenu incapable de faire se que son skipper ne lui demandera plus de faire … comme les choses sont bien faites !