Archives de catégorie : 1955.- Fifties

Grand-mère paternelle

Bizarrement, je ne me souviens plus de ma grand-mère de La Turballe, ma grand-mère paternelle, malgré une place de préféré auprès d’elle à ce qu’on m’a rapporté bien plus tard. Je revois la grande maison cubique de la « Grande-douve » – j’ai été surpris bien plus tard de la constater si petite, difficilement capable d’abriter les onze tantes et oncles qui y avaient pourtant logé, sans doute pas tous en même temps, les aîné(e) ayant dû quitter le nid pour faire de la place et commencer à gagner un peu de sous pour eux-mêmes et pour la famille.

Je devais avoir quatre ou cinq ans. Les images qui me restent sont celles d’une dame légèrement souriante, la coiffure argentée dressée en chignon, plutôt assise tandis que l’ainée de mes tantes s’employait pour tous. Je revois cette dernière en train de laver la vaisselle à l’eau bouillante produite par la cuisinière à charbon, la lavette offrant une maigre protection contre l’ébouillantement des mains.

Je me souviens d’avoir manipulé des osselets, sans doute de vrais ossements d’animaux, dans une sorte de jeu dont j’ai dû toujours ignorer les règles. Une scène d’épouvante s’est gravée dans ma mémoire le jour, où, la pluie tombant à verse, un monstre m’est apparu cavalcadant sur la route : « Un orage ! Rentrons vite ! » a crié la tante déjà citée ; j’ai compris bien plus tard, trop tard sans doute, que deux personnes courant l’une derrière l’autre sous le même imperméable n’est pas un monstre qu’on aurait appelé orage.

Mes petits frères

C’est du tout début de notre vie dans la nouvelle maison, je crois, que datent les premiers sentiments que mes frères, les jumeaux constituaient une bizarrerie autour de moi. Je ne sais pour quelle raison, pendant un certain temps, mon petit lit s’est trouvé dans la chambre des parents et non pas à côté du lit des jumeaux, dans la chambre des enfants. Mes parents ont dit bien plus tard que je parlais pendant mon sommeil. Eh oui, je parlais, mais ça n’était point pendant mon sommeil, je m’en souviens assez nettement, je parlais à une foule d’entités, de petites choses allant deux par deux. Elles étaient innombrables, se mouvaient en volée d’étourneaux, débordaient mon horizon, mais allaient toujours deux par deux. Et je leur parlais. Elles me parlaient aussi, ces myriades de petites paires. Mais il me fallait faire un effort pour les écouter, me mettre dans les bonnes condition : la tête bien enfouie sous l’oreiller, je pouvais entendre comme un bruissement, des milliers de petits bruits  réunis révélateurs de leur présence. J’ai compris plus tard que n’importe quel enfant, même sans frères jumeaux, percevait le même bruissement quand il se met la tête sous l’oreiller. Mais  moi, je les entendais …

Nous avons grandi ensemble. Notre mère avait fort à faire avec nous, mais elle ne manquait pas de ressource. Véritable souvenir ou résultat de récits ultérieurs, je nous vois alignés tous les trois devant elle, attendant le moment d’ouvrir la bouche afin de recevoir la cuillerée de bouillie au chocolat sortie de la casserole encore tiède. Et gare à celui qui n’ouvrait pas le bec à temps pour recevoir la becquée ! Il y eut un martinet à la maison, mais je ne souviens pas que ma mère l’ait jamais utilisé autrement que comme menace. Elle usait plus volontiers d’un châtiment corporel plus badin – eh oui ! – mais autrement plus humiliant : elle demandait au futur châtié d’aller lui chercher une badine dans le cerisier qui trônait à quelques mètres de la maison. Nous souffrions alors davantage du geste qui lui remettait l’instrument de notre punition que du petit coup qu’elle donnait ou feignait de donner sur nos mollets généralement dénudés.

Ce sont évidemment les petites bêtises qui remontent à la surface, enfin, les actions plus ou moins dangereuses que nous menions pour nous amuser, passer le temps, découvrir le monde de notre maison, de notre jardin. Nous marchions à peine de façon stable que nous grimpions sur les murs de pierre mal ajustées bordant maison et jardin. On m’a rapporté plus tard les cris de quelques tantes affolées de nous voir ainsi juchés en des positions qui auraient été bien sûr réellement très dangereuses et pour tout dire inimaginables pour elles-mêmes. J’avais inventé de jouer à la petite guerre entre nous avec des arcs faits de branches coupées dans les nombreux fruitiers du jardin et des flèches constituées de couvercles de moulure en bois lestés de plusieurs tours de fils d’alu, tout matériau utilisé à l’époque dans ses travaux d’électricité par notre père. Efficace et très dangereux comme on peut l’imaginer maintenant …

D’autres souvenirs ? Ce jour où nous jouions sans surveillance et donc sans entraves dans la « salle à manger » et que l’un d’entre nous a volé par dessus la table pour aller planter son genou dans une porte du grand meuble. Ou bien cet autre où mon père a dû scier le barreau d’une chaise pour dégager la tête que j’y avais inconsidérément engagée. Je me vois aussi, arrivant à la maison fermée à clef en l’absence très momentanée des parents, tester toutes les possibilités d’y entrer : en faisant le tour des portes, fenêtres et lucarnes éventuellement oubliées, en grimpant sur la terrasse pour crocheter un volet devant une fenêtre éventuellement laissée ouverte, en manipulant la clef laissée à l’intérieur à l’aide d’un fil de fer approprié ou bien en la poussant pour qu’elle tombe sur une feuille préalablement glissée sous la porte …

Notre plus jeune frère, Didier, a débarqué parmi nous trois alors que j’avais sept ans, l’âge de raison. Il me semble que son arrivée d’une part et l’âge de raison d’autre part, associés sans doute à beaucoup d’autres changements dans la vie de la famille, ont progressivement bridé le côté bêtisier de la bande des trois.

Petites frondes au collège

Je ne me souviens plus quelles raisons ont incité mes parents à me mettre en pension pour ma quatrième au collège Saint-Jean-Baptiste de Guérande. J’étais sage et j’avais de bons résultats … peut-être pour libérer un peu la maison et accorder plus de temps à mes frères, les jumeaux ? Je ne m’en souviens pas en tout cas comme d’une année pénible, ni même comme d’une année de rupture. Je revenais chaque week-end à la maison, ce qui n’était pas le cas de tous les pensionnaires puisqu’une certaine « bonne conduite » conditionnait la permission de sortie. Je crois bien n’avoir été retenu qu’une seule fois, peut-être pour mon entêtement à refuser d’apprendre par cœur la liste des départements, non que j’en étais incapable mais parce que je ne le voulais pas, na ! Le dimanche de ce week-end un peu spécial nous a vu marcher jusqu’à Pen Bron – ce qui fait quand même une bonne petite trotte – où, à défaut de nous baigner, nous avons pu gambader sur la plage et dans l’eau. Je revois encore l’élève de la 4ème A, un certain Neveu, revenir de l’eau assez profondément blessé pour avoir couru sur un des très nombreux « couteaux » fichés verticalement dans le sable fin à certaines heures de la marée.

Il est possible que la pension m’ait rendu un peu bêtisier, le petit bricoleur qui était en moi s’ennuyant de ne plus avoir sous la main comme à l’atelier paternel de quoi occuper ses mains et son esprit. J’en ai une illustration bien précise. Nous avions inventé de nous bombarder les uns les autres, dans le dos des profs, de petits projectiles en papier. Pas que du papier rapidement mâché et introduit dans la tige bien droite d’une pointe bic utilisée comme sarbacane, non. Nous pliions un bout de feuille de papier pour faire un objet de quelque 5×20 mm et qui, plié une dernière fois en deux pouvait se pincer sur un élastique tendu entre le pouce et l’index et donc constituer un projectile. J’ai dû trouver un jour que la chose était améliorable. Avec les rayons de vélo dont mon père possédait toutes les sections et longueurs, j’ai confectionné comme de petits lance-pierres adapté à nos projectiles. Et pour que ça soit plus marrant, j’en ai distribué une dizaine aux élèves demandeurs de ma classe. Ça faisait mal, surtout quand le papier bien dur vous arrivait derrière les oreilles. Et rétrospectivement, je dirais même que c’était potentiellement dangereux. L’affaire dégénéra rapidement en bataille rangée un soir au dortoir. Peu après l’extinction des feux et le retrait du surveillant dans sa chambrette, les armes sont sorties du dessous des matelas et les projectiles ont volé. La plus grosse partie de ma fabrication fut découverte et bien sûr confisquée. J’ai gardé mon lance-boulette personnel bien longtemps sans jamais plus oser l’utiliser. Un miracle sans doute : je ne fus jamais inquiété.