Prof ou artisan ?

Lors de quelques réunions d’artisans auxquelles j’ai participé, particulièrement des réunions de plombiers, j’ai réalisé que le client considéré comme le plus pénible par la majorité est le prof. C’est bien lui le plus pointilleux, tatillon, indécis, imprévisible, ergoteur et soupçonneux ; c’est lui qui va demander le déplacement de la porte de la chambre de 15 centimètres – bein c’est pas grand chose, 15 cm ! – parce qu’il vient de se rendre compte que le lit qu’il vient de ramener de chez sa belle-mère ne passerait pas sinon, mais qui ignore ou feint d’ignorer que les canalisations amenant l’électricité à l’interrupteur et celles amenant l’eau au radiateur de chauffage central seront à reconstruire ou que les ouvertures simultanées du vélux et de la porte risquent d’être conflictuelles.

Plus tard, lors des réunions non professionnelles avec les collègues profs, j’ai appris qu’il fallait beaucoup se méfier des artisans, demander des devis, contrôler leur exécution, vérifier les fournitures, demander des garanties écrites. Bref, qu’on ne pouvait pas leur faire confiance et que de toute façon, on se faisait avoir.

Si on ajoute que pour les uns, les profs sont des fainéants qui travaillent 18 heures par semaine et tout juste 9 mois dans l’année et que pour les autres, les artisans pratiquent tous la fraude à la TVA et se font ainsi des nouilles en or aux frais du contribuable, menant grand train dès que le bleu de travail n’est plus de mise pour justifier les rentrées de sous, j’ai compris le besoin de dialogue entre les profs chargés de former des jeunes capables de faire de bons acteurs de l’économie française et donc particulièrement de bons artisans et les artisans qui attendent des profs qu’ils donnent la meilleure formation à leurs enfants.

Pour avoir pratiqué les deux professions tour à tour – et même simultanément pendant tout une année -, je peux affirmer qu’il est possible pour un artisan de ne voler ni ses clients ni le fisc (ou si peu …), même si pour réussir vraiment, mieux vaut être malin qu’intelligent comme me le rappelait un électricien un peu connu dans la Presqu’île guérandaise, me signifiant peut-être que je n’avais pas ma place près de lui. Et je peux témoigner également qu’un prof normal est un citoyen normal pas plus bête qu’un autre et peut donc comprendre qu’il ne comprend que bien peu de choses aux choses du bâtiment, et que ce prof normal – donc un bon prof – travaille énormément, bien avant et bien après ses cours, pendant le weekend pour préparer le début de semaine, pendant les vacances pour préparer la rentrée (il m’est arrivé d’emporter en croisière sur le Scipio le manuel d’un nouveau programme de physique pour me l’approprier comme on dit).

J’ai travaillé beaucoup dans mon état d’artisan, mais en donnant beaucoup de temps et d’énergie pour chercher – parfois sans trouver – le travail qui va rapporter l’argent nécessaire à la pérennité de l’entreprise, mais aussi beaucoup de temps, d’énergie et parfois même d’argent pour faire rentrer l’argent dû une fois le travail réalisé. J’ai aussi beaucoup travaillé en tant que prof, mais ce travail  peut se faire sans incertitude sur sa rémunération, même s’il est certainement sous-payé par rapport à d’autres fonctions au même niveau de compétences et de responsabilités. Cette différence sur la rémunération du travail, ajouté à la différence sur la qualité des relations entre, d’une part, l’artisan et ses clients et, d’autre part, le prof et ses élèves fait que même si toutes choses ne sont pas tout à fait égales par ailleurs, ma préférence va du côté de l’enseignement.