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Premières voiles

Après l’aventure algérienne, installé de nouveau au pays, il n’aura pas fallu bien longtemps – un couple d’années quand même – pour que la grande bleue installée devant les côtes de La Turballe ne me donne l’envie d’aller y voir de plus près. C’est une chose que de flâner sur le sentier littoral, de joueur les estivants sur le sable (à gros grains, strié de bandes de varech en voie de dessèchement,  mais fleurant bon le bio, l’authentique) et même de jouer à saute-vague dans les rouleaux qui suivent le passage des dépressions, c’en est une autre que de partir sur le grand tapis bleu, au gré et à la merci des vents, des marées et des courants, pour tenter de constater la véracité de l’affirmation de Aristote, reprise par Brel : « Il y a deux sortes de gens, il y a les vivants et ceux qui vont en mer« .

Sur la route qui mène à la plage la plus proche, la plage des Bretons, une ardoise : « Vends dériveur« . Il faisait l’affaire, s’est retrouvé rapidement dans l’eau, les voiles faseyantes prêtes à être bordées, la dérive et le safran prêts à prendre leur service sous la coque une fois la hauteur d’eau convenable. Mon jeune frère Didier m’assistait pour ce premier essai mais sa compétence dans le domaine de la navigation à voile était sensiblement du même niveau que la mienne, c’est-à-dire nulle. Nous n’étions quand même pas tout à fait idiots et nous avions choisi un petit vent de suroît bien capable de ramener sur la grève n’importe quelle embarcation manœuvrée par des incompétents. Nous fîmes deux ou trois bonds de quelques centaines de mètres vers Pen Bron avant de nous résoudre à l’abandon et de nous décider à nous renseigner plus avant si nous voulions profiter de notre investissement.

Dans le Cours des Glénans concernant la navigation à voile sur tous types de bateaux et dans toutes les conditions, de la promenade en dériveur par temps de demoiselle au coup de tabac dans le golfe de Gascogne, j’ai appris la cause de notre premier échec et l’importance de respecter les chemins assignés aux différents cordages – encore peu nombreux pourtant sur un dériveur – pour que les voiles prennent le vent de façon efficace. J’y ai appris de quoi tirer des bords entre la tourelle Basse Hergo près du Croisic et  la pointe de Piriac, une ligne à maquereaux traînant derrière le canote et, rapidement, le sentiment de ne pas pouvoir en rester là, d’aller voir plus loin et donc d’acheter plus grand.

Trescalan

Mes frères et moi parcourions souvent la route longue de plus d’un kilomètre vers la butte de Trescalan, à pied le long des fossés parfois glacés, sur les cadres et porte-bagages des vélos de nos parents, et même parfois dans une petite remorque tirée par un vélo avant que la famille ne s’équipe de sa première automobile. C’est que l’école Saint-Pierre n’était pas le seul centre d’activités à Trescalan.

Nous y allions également pour suivre le catéchisme, le groupe des filles face au groupe des garçons, séparés par monsieur le curé que j’imagine rétrospectivement pas trop à l’aise, pris dans les filets de tous ces yeux mi-rigolards mi-effrayés. « Qu’est-ce que Dieu ? » demandait l’homme de Dieu. « Dieu est partout, au ciel, sur la terre et en tout lieu » devaient répondre en chœur les enfants supposés du même Bon Dieu.

Nous nous y rendions aussi pour assister à la messe dans l’église dont le chauffage était alors inenvisageable et dont on peut imaginer que l’inconfort était vécu comme devant aider à gagner le paradis en effectuant son purgatoire dans ce bas monde. Messes dominicales, les enfants sur les bancs installés « en haut » de la nef, et là encore les filles à gauche, près de l’harmonium et les garçons à droite, sous la chaire, les adultes derrière, hommes plutôt à droite près des sorties. Messes des grandes fêtes catholiques : Pâques et l’église pleine à craquer, Noël et la messe de minuit, la vraie, qu’il nous fallait suivre pendant que le Père Noël resté à la maison répartissait les cadeaux autour de la crèche familiale. Cérémonies liées au parcours religieux : premières communions une fois atteint l’« âge de raison » de la septième année, communions solennelles en aube blanche, confirmations avec soufflet de l’évêque.

Nous nous y rendions également comme membres de la Jeune Union, l’association paroissiale de musique et de gymnastique. Le dimanche matin et vraisemblablement le mercredi soir (ma mémoire …), nous avions entraînement de gymnastique et nous avions encore répétition de musique un autre soir de la semaine. Barre fixe, barres parallèles, saut en longueur, en hauteur, course à pied, lancer de poids, mouvements d’ensemble étaient au menu de la gymnastique. Au sein de la clique j’étais tambour. Je dois avoir commencé à sept ou huit ans et le tambour était alors adapté à ma taille, de même diamètre que les autres mais beaucoup moins haut. Des regroupements de sociétés de musique et de gymnastique avaient lieu deux fois par an sous la forme de pré-concours et de concours. Je me souviens de voyages en car, plus ou moins longs, toujours très animés, des innombrables cohortes en uniforme défilant derrière leurs bannières, du son des tambours, des trompettes, des clairons, des cors.

J’ai quitté Trescalan relativement tôt pour entrer au collège de Guérande. J’ai alors perdu progressivement les liens avec les jeunes côtoyés à l’école, à la musique et à la gymnastique. C’est peut-être à cette époque que les messes dominicales se sont prises à l’église de La Turballe plutôt qu’à celle Trescalan. Quelques contacts avec les jeunes turballais de mon âge ont été possibles ensuite au sein de l’équipe de foot « minimes » de La Turballe. On m’a poussé vers le collège plus tôt que prévu parce que je donnais l’impression de perdre un peu mon temps à l’école. Je n’étais pas particulièrement doué, juste un peu plus rapide que les autres. Je me rappelle que dans la « petite classe », la maîtresse m’avait demandé de la suppléer en prenant la baguette pour faire lire à la classe un texte au tableau. Je me souviens également d’être passé avec quelque avance chez les grands de la grande classe et d’avoir trouvé génial que l’instituteur, bloqué ou fatigué devant un problème d’arithmétique, nous ait proposé un jour : « supposons que la solution soit X » …

L’école

L’école, j’y suis entré à la maternelle de Sainte-Marie, l’école de filles de Trescalan distant d’un bon kilomètre de la maison. Je me revois – souvenir « premier », figé et un peu flou – franchissant le grand portail et m’enfouissant la tête dans la grande robe noire de la Sœur directrice qui accueillait les petites têtes blondes un peu perdues le jour de la première rentrée.

Malgré ma grande timidité je me suis toujours trouvé bien sur les bancs de l’école et plus tard sur les chaises des collèges, lycées et universités. Sans doute parce qu’avant d’aimer apprendre qui n’est apparu clairement je crois que lorsque l’obligation d’apprendre a eu disparu, j’apprenais assez facilement et que j’appréciais les effets de mes bons résultats scolaires sur mon entourage. Je savourais les récompenses et, bien que détestant être mis sur le devant de la scène au moment de leur réception, j’ai accueilli les « bons points » quotidiens, les médailles trimestrielles, les « grands prix » de fin d’année comme autant de reconnaissances normales de mon travail et sans doute inconsciemment de ma valeur. Ma première récompense d’apprenant de maternelle fut une petite grappe de raisins blancs, vraisemblablement offerte à tous pour avoir bien « dormi » pendant le quart d’heure prévu, la tête enfouie dans les bras croisés sur la table. À l’école Saint-Pierre, l’école des garçons située à une enjambée au-dessus de celle des filles, j’attendais régulièrement les médailles distribuées par le directeur et monsieur le curé, peut-être trop injustement pour le second de la section qui s’est vu néanmoins remettre en quelques occasions la médaille du premier.

L’école de la République était installée dans le bourg de La Turballe, beaucoup plus proche de la maison, mais Trescalan possédait la « bonne école », celle des Frères et du curé même si déjà des laïcs prenaient la place des religieux sur les estrades. Nous avions alors un jeune couple d’enseignants,  Marcel et Jacqueline, elle dans la classe des petits et lui dans celle des grands, les deux classes juste séparées par une cloison en bois pourvue d’une large porte vitrée à deux battants. Le passage de la petite à la grande classe fut bien facile … Il ne faudrait pourtant pas croire que je fus un ange dans le meilleur des mondes à l’école primaire : je garde encore bien gravée dans ma petite tête la trace de la gifle magistrale reçue pendant l’heure de gymnastique parce que je m’entêtais dans mon refus de réaliser je ne sais plus quoi ; je garde aussi – et là c’est plus joyeux la trace qu’aurait pu laisser sur mes jeunes fesses le sabot échappé du pied de monsieur le curé après une mini-fugue pendant les derniers jours de ma dernière année à l’école.

Aujourd’hui, le savoir n’est plus l’apanage du système scolaire et les jeunes d’aujourd’hui apprennent ou peuvent apprendre plus de choses en dehors du système au point que beaucoup de cours pourraient n’être que des incitations à aller voir ailleurs, des leçons d’acquisitions de savoirs et des exploitations de ces savoirs. Il en allait bien sûr différemment dans les années 50 du siècle dernier : non seulement les jeunes ne pouvaient acquérir les savoirs académiques qu’à l’école, mais en demandant aux jeunes davantage d’investissement extra ou périscolaire qu’aujourd’hui, elle leur apportait des apprentissages inaccessibles à l’extérieur. Deux petits exemples. Pendant la saison froide, les premiers élèves arrivés – dont j’étais souvent – allumaient les deux poêles à bois et charbon qui trônaient dans les allées centrales, prolongés de cinq ou six mètres de tuyaux de fumées, vraisemblablement la longueur optimale pour le meilleur rendement avec un tirage encore convenable ; papier, petit bois, allumage, suffocations, bûchettes, charbon … c’est parti, m’sieur ! Chaque samedi voyait arriver la corvée de nettoyage des classes. Pas vraiment une corvée, plutôt un jeu par lequel il fallait passer pour s’enfuir de l’école. Ramasser les papiers, frapper les brosses à tableaux noirs, nettoyer les encriers et surtout balayer. Tout un rituel, le balayage. Les plus costauds regroupaient au fond de la classe les longues tables noirs aux pupitres inclinées, l’un de nous dessinait des arabesques sur le sol libéré à l’aide d’un filet d’eau échappé d’une boîte de conserve au fond percé, puis un ou deux balayeurs armées de balais en paille de riz tentaient de regrouper la poussière retenue dans les jointures et autres nombreux défauts du parquet fait de grosses planches. Exemplaires, ces exemples ? Sans doute si on considère ce que pourrait réaliser l’école d’aujourd’hui, avec des outils autres que les ardoises, le tableau noir et le balai en paille de riz, si chacun des acteurs  s’y investissait pleinement.