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Les années collège

Trois années au collège Saint-Jean-Baptiste de Guérande n’ont laissé que des pointillés dans ma petite tête. En dehors de l’année de pension, en 4ème, je m’y rendais en utilisant les autocars réguliers, les transports spécifiquement scolaires n’existant pas encore, me semble-t-il ; des autocars dont certain chauffeur n’était pas toujours très « safe » en fin de journée et dans lesquels j’ai assisté à quelques affrontements de petits coqs turballais. Météo permettant, il m’arrivait également de parcourir les cinq kilomètres sur mon beau vélo de course – rouge à l’époque -, le cartable à bretelles sur le dos, la dynamo ronronnant et freinant fort lorsque la nuit avait précédé le retour du soir. Je craignais particulièrement alors la grande ligne droite entre Clis et Trescalan, entièrement noire, toute bordée de grands arbres obscurcissant la moindre partie du ciel qui aurait pu garder une trace du soleil couchant. Un matin de temps mitigé, un peu humide, un peu frisquet, je fonçais la tête dans le guidon dans la petite ligne droite qui sort du bourg de La Turballe. Tête baissée, ma petite vitesse et la faible circulation de l’époque ne justifiant pas d’y voir plus loin que le bout de mon nez … Le choc fut violent, en tout cas je ressens encore sa violence soixante ans après. Par bonheur, la « traction avant » stationnée benoîtement sur la voie était de celles qui possédaient une roue de secours dans un coffre de forme torique  et légèrement incliné ; de quoi amortir le choc et réduire ses conséquences à une petite journée de récupération. La roue et la fourche du vélo avaient davantage souffert, bien sûr, mais des roues et des fourches, l’atelier paternel n’en manquait pas.

Beaucoup de mes profs de l’époque étaient des religieux. Frère Pascal, le gentil, prof de maths ; Frère Marcel, prof d’Anglais qui s’endormait entre deux claquements de baguettes « au suivant ! » ; Frère Théophane, le gentil aussi, qui a osé me demander un jour en rougissant pourquoi je faisais mes « Q » majuscules avec une petite queue rebiquante (bein pourquoi ? bon sang, mais c’est bien sûr !…) ; Frère Bernard, le méchant, qui terrorisait et tapait encore sur les doigts à l’aide d’une règle ; Frère Louis qui surveillait l’étude et qui, du haut de son estrade, nous a appris à nous moucher (eh oui, ça ne s’invente pas) ; Frère Robert pour le dessin industriel, mais aussi et surtout pour les parties de funambulisme que nous exhibions dans quelques fêtes et kermesses, à Trescalan, Hoëdic et Port-Louis, pour celles qui me reviennent à l’esprit. Je cherche quelques laïcs … Ah si ! le prof de sport – je ne sais pas à quel époque il est devenu le professeur d’Éducation Physique et Sportive » (E.P.S.) ? – monsieur Lepoivre ; le prof de dessin aussi, plutôt « à l’ouest » et pendant les cours duquel nous cherchions bien avant 68 « sous les pavés, la plage » ; et puis cette (trop) gentille prof d’espagnol qui nous a appris, en chantant, « la gallina dice pio, pio, pio, cuando tiene hambre, cuando tiene frio » (eh oui, je m’en souviens), mais qui laissait passer dans son dos, impuissante et désespérée,  les plumes métalliques munies d’empennages en papier plié que nous envoyions se planter dans le tableau. Quels garnements nous étions !

Quoi d’autre ? Les parties de ping-pong pendant les récréations dans la grande salle sous la chapelle ? Le réfectoire et les repas pris en silence, les élèves se relayant pour lire au micro, d’un ton soporifique je ne sais quelle soporifique mais sans doute édifiante histoire ? Les petits déjeuners de mon année de pension, avec le café au lait dans lequel nous dissolvions  la confiture, vraisemblablement plus par souci de copier les grands qui copiaient déjà leurs aînés que par envie de le sucrer davantage, avec la noix de beurre confectionnée de telle façon que la quantité convienne davantage aux yeux qu’aux besoins des tartines, avec les croûtons de pain que tous se disputaient alors qu’ils étaient rejetés par tous les pensionnaires du lycée qui m’a vu par la suite ?

À la fin de la troisième nous eûmes le droit de passer le B.E.P.C,, le Brevet d’Études du Premier Cycle qui ne devait pas être tout à fait le premier puisque, sept d’entre nous qui se trouvaient avoir quatorze ans durent passer le C.E.P., Certificat d’Études Primaires, huit jours auparavant. Le Frère Directeur nous avait expliqué que bien sûr nous n’avions pas besoin de ce petit diplôme mais que, quelles que soit les formations brillantes auxquelles nous étions destinés, nous serions toujours fiers d’exhiber ce document que tout citoyen se doit de posséder. Le fait est que je ne me souviens plus du tout des conditions de passage du B.E.P.C. alors que je me souviens d’avoir chanté devant les examinateurs du C.E.P. ‘Vigni, vigni, vignons le vin, la voilà la jolie vigne au vin, la voilà la jolie vigne » ; de quoi donner des boutons à certaine mauvaise langue qui veut me persuader depuis toujours  que je chante faux !…

Trescalan

Mes frères et moi parcourions souvent la route longue de plus d’un kilomètre vers la butte de Trescalan, à pied le long des fossés parfois glacés, sur les cadres et porte-bagages des vélos de nos parents, et même parfois dans une petite remorque tirée par un vélo avant que la famille ne s’équipe de sa première automobile. C’est que l’école Saint-Pierre n’était pas le seul centre d’activités à Trescalan.

Nous y allions également pour suivre le catéchisme, le groupe des filles face au groupe des garçons, séparés par monsieur le curé que j’imagine rétrospectivement pas trop à l’aise, pris dans les filets de tous ces yeux mi-rigolards mi-effrayés. « Qu’est-ce que Dieu ? » demandait l’homme de Dieu. « Dieu est partout, au ciel, sur la terre et en tout lieu » devaient répondre en chœur les enfants supposés du même Bon Dieu.

Nous nous y rendions aussi pour assister à la messe dans l’église dont le chauffage était alors inenvisageable et dont on peut imaginer que l’inconfort était vécu comme devant aider à gagner le paradis en effectuant son purgatoire dans ce bas monde. Messes dominicales, les enfants sur les bancs installés « en haut » de la nef, et là encore les filles à gauche, près de l’harmonium et les garçons à droite, sous la chaire, les adultes derrière, hommes plutôt à droite près des sorties. Messes des grandes fêtes catholiques : Pâques et l’église pleine à craquer, Noël et la messe de minuit, la vraie, qu’il nous fallait suivre pendant que le Père Noël resté à la maison répartissait les cadeaux autour de la crèche familiale. Cérémonies liées au parcours religieux : premières communions une fois atteint l’« âge de raison » de la septième année, communions solennelles en aube blanche, confirmations avec soufflet de l’évêque.

Nous nous y rendions également comme membres de la Jeune Union, l’association paroissiale de musique et de gymnastique. Le dimanche matin et vraisemblablement le mercredi soir (ma mémoire …), nous avions entraînement de gymnastique et nous avions encore répétition de musique un autre soir de la semaine. Barre fixe, barres parallèles, saut en longueur, en hauteur, course à pied, lancer de poids, mouvements d’ensemble étaient au menu de la gymnastique. Au sein de la clique j’étais tambour. Je dois avoir commencé à sept ou huit ans et le tambour était alors adapté à ma taille, de même diamètre que les autres mais beaucoup moins haut. Des regroupements de sociétés de musique et de gymnastique avaient lieu deux fois par an sous la forme de pré-concours et de concours. Je me souviens de voyages en car, plus ou moins longs, toujours très animés, des innombrables cohortes en uniforme défilant derrière leurs bannières, du son des tambours, des trompettes, des clairons, des cors.

J’ai quitté Trescalan relativement tôt pour entrer au collège de Guérande. J’ai alors perdu progressivement les liens avec les jeunes côtoyés à l’école, à la musique et à la gymnastique. C’est peut-être à cette époque que les messes dominicales se sont prises à l’église de La Turballe plutôt qu’à celle Trescalan. Quelques contacts avec les jeunes turballais de mon âge ont été possibles ensuite au sein de l’équipe de foot « minimes » de La Turballe. On m’a poussé vers le collège plus tôt que prévu parce que je donnais l’impression de perdre un peu mon temps à l’école. Je n’étais pas particulièrement doué, juste un peu plus rapide que les autres. Je me rappelle que dans la « petite classe », la maîtresse m’avait demandé de la suppléer en prenant la baguette pour faire lire à la classe un texte au tableau. Je me souviens également d’être passé avec quelque avance chez les grands de la grande classe et d’avoir trouvé génial que l’instituteur, bloqué ou fatigué devant un problème d’arithmétique, nous ait proposé un jour : « supposons que la solution soit X » …

L’école

L’école, j’y suis entré à la maternelle de Sainte-Marie, l’école de filles de Trescalan distant d’un bon kilomètre de la maison. Je me revois – souvenir « premier », figé et un peu flou – franchissant le grand portail et m’enfouissant la tête dans la grande robe noire de la Sœur directrice qui accueillait les petites têtes blondes un peu perdues le jour de la première rentrée.

Malgré ma grande timidité je me suis toujours trouvé bien sur les bancs de l’école et plus tard sur les chaises des collèges, lycées et universités. Sans doute parce qu’avant d’aimer apprendre qui n’est apparu clairement je crois que lorsque l’obligation d’apprendre a eu disparu, j’apprenais assez facilement et que j’appréciais les effets de mes bons résultats scolaires sur mon entourage. Je savourais les récompenses et, bien que détestant être mis sur le devant de la scène au moment de leur réception, j’ai accueilli les « bons points » quotidiens, les médailles trimestrielles, les « grands prix » de fin d’année comme autant de reconnaissances normales de mon travail et sans doute inconsciemment de ma valeur. Ma première récompense d’apprenant de maternelle fut une petite grappe de raisins blancs, vraisemblablement offerte à tous pour avoir bien « dormi » pendant le quart d’heure prévu, la tête enfouie dans les bras croisés sur la table. À l’école Saint-Pierre, l’école des garçons située à une enjambée au-dessus de celle des filles, j’attendais régulièrement les médailles distribuées par le directeur et monsieur le curé, peut-être trop injustement pour le second de la section qui s’est vu néanmoins remettre en quelques occasions la médaille du premier.

L’école de la République était installée dans le bourg de La Turballe, beaucoup plus proche de la maison, mais Trescalan possédait la « bonne école », celle des Frères et du curé même si déjà des laïcs prenaient la place des religieux sur les estrades. Nous avions alors un jeune couple d’enseignants,  Marcel et Jacqueline, elle dans la classe des petits et lui dans celle des grands, les deux classes juste séparées par une cloison en bois pourvue d’une large porte vitrée à deux battants. Le passage de la petite à la grande classe fut bien facile … Il ne faudrait pourtant pas croire que je fus un ange dans le meilleur des mondes à l’école primaire : je garde encore bien gravée dans ma petite tête la trace de la gifle magistrale reçue pendant l’heure de gymnastique parce que je m’entêtais dans mon refus de réaliser je ne sais plus quoi ; je garde aussi – et là c’est plus joyeux la trace qu’aurait pu laisser sur mes jeunes fesses le sabot échappé du pied de monsieur le curé après une mini-fugue pendant les derniers jours de ma dernière année à l’école.

Aujourd’hui, le savoir n’est plus l’apanage du système scolaire et les jeunes d’aujourd’hui apprennent ou peuvent apprendre plus de choses en dehors du système au point que beaucoup de cours pourraient n’être que des incitations à aller voir ailleurs, des leçons d’acquisitions de savoirs et des exploitations de ces savoirs. Il en allait bien sûr différemment dans les années 50 du siècle dernier : non seulement les jeunes ne pouvaient acquérir les savoirs académiques qu’à l’école, mais en demandant aux jeunes davantage d’investissement extra ou périscolaire qu’aujourd’hui, elle leur apportait des apprentissages inaccessibles à l’extérieur. Deux petits exemples. Pendant la saison froide, les premiers élèves arrivés – dont j’étais souvent – allumaient les deux poêles à bois et charbon qui trônaient dans les allées centrales, prolongés de cinq ou six mètres de tuyaux de fumées, vraisemblablement la longueur optimale pour le meilleur rendement avec un tirage encore convenable ; papier, petit bois, allumage, suffocations, bûchettes, charbon … c’est parti, m’sieur ! Chaque samedi voyait arriver la corvée de nettoyage des classes. Pas vraiment une corvée, plutôt un jeu par lequel il fallait passer pour s’enfuir de l’école. Ramasser les papiers, frapper les brosses à tableaux noirs, nettoyer les encriers et surtout balayer. Tout un rituel, le balayage. Les plus costauds regroupaient au fond de la classe les longues tables noirs aux pupitres inclinées, l’un de nous dessinait des arabesques sur le sol libéré à l’aide d’un filet d’eau échappé d’une boîte de conserve au fond percé, puis un ou deux balayeurs armées de balais en paille de riz tentaient de regrouper la poussière retenue dans les jointures et autres nombreux défauts du parquet fait de grosses planches. Exemplaires, ces exemples ? Sans doute si on considère ce que pourrait réaliser l’école d’aujourd’hui, avec des outils autres que les ardoises, le tableau noir et le balai en paille de riz, si chacun des acteurs  s’y investissait pleinement.