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L’école

L’école, j’y suis entré à la maternelle de Sainte-Marie, l’école de filles de Trescalan distant d’un bon kilomètre de la maison. Je me revois – souvenir « premier », figé et un peu flou – franchissant le grand portail et m’enfouissant la tête dans la grande robe noire de la Sœur directrice qui accueillait les petites têtes blondes un peu perdues le jour de la première rentrée.

Malgré ma grande timidité je me suis toujours trouvé bien sur les bancs de l’école et plus tard sur les chaises des collèges, lycées et universités. Sans doute parce qu’avant d’aimer apprendre qui n’est apparu clairement je crois que lorsque l’obligation d’apprendre a eu disparu, j’apprenais assez facilement et que j’appréciais les effets de mes bons résultats scolaires sur mon entourage. Je savourais les récompenses et, bien que détestant être mis sur le devant de la scène au moment de leur réception, j’ai accueilli les « bons points » quotidiens, les médailles trimestrielles, les « grands prix » de fin d’année comme autant de reconnaissances normales de mon travail et sans doute inconsciemment de ma valeur. Ma première récompense d’apprenant de maternelle fut une petite grappe de raisins blancs, vraisemblablement offerte à tous pour avoir bien « dormi » pendant le quart d’heure prévu, la tête enfouie dans les bras croisés sur la table. À l’école Saint-Pierre, l’école des garçons située à une enjambée au-dessus de celle des filles, j’attendais régulièrement les médailles distribuées par le directeur et monsieur le curé, peut-être trop injustement pour le second de la section qui s’est vu néanmoins remettre en quelques occasions la médaille du premier.

L’école de la République était installée dans le bourg de La Turballe, beaucoup plus proche de la maison, mais Trescalan possédait la « bonne école », celle des Frères et du curé même si déjà des laïcs prenaient la place des religieux sur les estrades. Nous avions alors un jeune couple d’enseignants,  Marcel et Jacqueline, elle dans la classe des petits et lui dans celle des grands, les deux classes juste séparées par une cloison en bois pourvue d’une large porte vitrée à deux battants. Le passage de la petite à la grande classe fut bien facile … Il ne faudrait pourtant pas croire que je fus un ange dans le meilleur des mondes à l’école primaire : je garde encore bien gravée dans ma petite tête la trace de la gifle magistrale reçue pendant l’heure de gymnastique parce que je m’entêtais dans mon refus de réaliser je ne sais plus quoi ; je garde aussi – et là c’est plus joyeux la trace qu’aurait pu laisser sur mes jeunes fesses le sabot échappé du pied de monsieur le curé après une mini-fugue pendant les derniers jours de ma dernière année à l’école.

Aujourd’hui, le savoir n’est plus l’apanage du système scolaire et les jeunes d’aujourd’hui apprennent ou peuvent apprendre plus de choses en dehors du système au point que beaucoup de cours pourraient n’être que des incitations à aller voir ailleurs, des leçons d’acquisitions de savoirs et des exploitations de ces savoirs. Il en allait bien sûr différemment dans les années 50 du siècle dernier : non seulement les jeunes ne pouvaient acquérir les savoirs académiques qu’à l’école, mais en demandant aux jeunes davantage d’investissement extra ou périscolaire qu’aujourd’hui, elle leur apportait des apprentissages inaccessibles à l’extérieur. Deux petits exemples. Pendant la saison froide, les premiers élèves arrivés – dont j’étais souvent – allumaient les deux poêles à bois et charbon qui trônaient dans les allées centrales, prolongés de cinq ou six mètres de tuyaux de fumées, vraisemblablement la longueur optimale pour le meilleur rendement avec un tirage encore convenable ; papier, petit bois, allumage, suffocations, bûchettes, charbon … c’est parti, m’sieur ! Chaque samedi voyait arriver la corvée de nettoyage des classes. Pas vraiment une corvée, plutôt un jeu par lequel il fallait passer pour s’enfuir de l’école. Ramasser les papiers, frapper les brosses à tableaux noirs, nettoyer les encriers et surtout balayer. Tout un rituel, le balayage. Les plus costauds regroupaient au fond de la classe les longues tables noirs aux pupitres inclinées, l’un de nous dessinait des arabesques sur le sol libéré à l’aide d’un filet d’eau échappé d’une boîte de conserve au fond percé, puis un ou deux balayeurs armées de balais en paille de riz tentaient de regrouper la poussière retenue dans les jointures et autres nombreux défauts du parquet fait de grosses planches. Exemplaires, ces exemples ? Sans doute si on considère ce que pourrait réaliser l’école d’aujourd’hui, avec des outils autres que les ardoises, le tableau noir et le balai en paille de riz, si chacun des acteurs  s’y investissait pleinement.

Premiers pas de danse

    La danse de salon me fournit une entrée comme une autre dans cette « histoire de ma vie ». Colette, qui m’accompagne depuis août 1968 – ça je m’en souviens en sachant que je confonds volontiers le 3 et le 4 à cause de l’école et de sa « nuit du 4 août » – Colette, donc, est rentrée à la maison voilà cinq ou six ans déjà en me disant avoir rencontré un prof de danse dynamique, sympathique et tout et tout. Pourquoi pas ? … Le temps de la retraite est un temps libre à occuper agréablement et utilement ; la danse semble pouvoir être une pratique agréable, délicatement sportive et fortement psychotonique. L’objection que cette proposition allait bloquer une soirée hebdomadaire sur un agenda jusque-là uniquement saupoudré de rendez-vous ponctuels décidés ou choisis au coup par coup restreindrait d’une certaine façon ma liberté de retraité n’a pas suffi à ne pas décider positivement : nous tenterions l’expérience.

    La danse ne m’est pas naturelle. D’une façon générale, il me semble toujours avoir eu des problèmes avec ma présence « à vide » en public : je ne sais pas sur quel pied danser quand je n’ai pas de raison de m’afficher, soit qu’on ne m’en ait pas donné, soit que je ne m’en sois pas trouvé. Lors d’une soirée étudiante sans les années 65, je crois me souvenir d’avoir boudé la piste de danse en m’excusant benoîtement. « Pardon, je le sens pas pour le moment … un jour sans doute … ». C’est peut-être ensuite que je me suis procuré un petit livret pour débutant recensant les pas de quelques danses. Tout petit, minuscule, bien loin même de « La danse pour les nuls ». Ou bien c’est avant si je repense à cette époque de mes 16-18 ans où les mariages étaient nombreux dans la famille, avec leurs bals bon enfant prolongeant un repas interminable. Je revois encore les petits dessins, suites de quatre empreintes de pas sur la page blanche, noires pour le danseur, blanches cerclées de noir pour la danseuse. Pas de liens dans ces suites tels qu’on pourrait en trouver maintenant dans les constructions informatiques, il fallait imaginer les transitions – mouvements et déplacements – entre les positions représentées. Des quelques essais d’apprentissage réalisés alors ne m’est restée vraiment que la valse, au pas de base simplissime aisément reproductible pour peu qu’ait été acquis une vitesse d’exécution suffisante ainsi qu’un déplacement contrôlé autour de la piste de danse. Cette micro autoformation m’a certainement procuré à l’époque un début d’aisance dans ce domaine sans pourtant me donner suffisamment de contenance pour que j’y trouve de l’intérêt : je n’avais rien à contenir, trouvant peu d’utilité à ces gestes plus ou moins syncopés, plus ou moins répétitifs, aux accents quelque peu grégaires et, au vu de tous ces aspects, vraisemblablement hors de ma nature. Une nature qui promenait de plus dans ma petite tête depuis mes années adolescentes un étendard à la Brassens : « Quand on est plus de quatre, on est une bande de cons » ; alors, une piste de danse …