Archives par mot-clé : atelier

Chouf le chien !

Chouf fut le sixième personnage de la famille durant la décennie qui a suivi notre retour de la virée algérienne. Elle venait d’une portée de bergers allemands d’une ferme du Maine-et-Loire et son nom aurait pu être n’importe laquelle des interjections régulièrement entendues pendant les deux années de notre séjour dans les Aurès. Salam, ouachrak, chouïa, wallou … ce fut Chouf, regarde ! Elle logeait dans notre atelier, sous l’établi et se trouvait donc presque continuellement en ma présence. Assez tôt, je l’emmenais lors de chacun de mes déplacements, dans le fourgon aménagé que nous possédions à l’époque ; elle devait pressentir chaque déplacement en même temps que je le décidais, se glissant rapidement entre mes jambes, grimpant le marche-pied et se lovant derrière le siège conducteur. Un jour, m’apercevant de son absence au retour d’un achat au bureau de tabac et parcourant le chemin inverse, je l’ai retrouvée attendant sagement mon retour sur le pas de la porte de l’échoppe. Ses erreurs étaient rares pourtant. L’un de ses plus graves écarts se produisit ce jour où, m’accompagnant chez un client « à la campagne », je la retrouvai coursant une dizaine de brebis affolées, le regard fou, les crocs encombrés de laine, totalement insensible à mes appels ; je dus m’interposer physiquement entre elle et les moutons pour qu’elle revienne instantanément sur terre, regagnant sa place, la queue basse et le regard contrit.

Elle accompagnait évidemment les déplacements de la famille, avait sa place à la Buissonnière où nous passions quelques week-ends, pouvait stationner dans la cour de mamie Jo qui n’aimait pourtant pas particulièrement les animaux. Elle accompagnait nos vacances, vacances d’été bien sûr mais vacances d’hiver à la neige également. Colette – ou bien était-ce mamie Solange – lui avait confectionné un harnais de toile permettant d’utiliser ses capacités de tracteur à quatre pattes pour remonter la luge des enfants. Le fourgon était son abri pendant toute la durée de notre séjour ; elle en était le gardien et s’employait à le faire savoir par de petits grognements aux passants qu’elle estimait trop proches, fussent-ils des gendarmes intrigués par ce fourgon dont la porte conducteur était laissée entrebâillée …

À la fin des années 80, elle était du voyage « retour vers les Aurès » que nous fîmes avec un couple dont le mari était ancien de l’Algérie, véritable ancien, lui, de ceux qui ont connu les « événements ». L’Algérie avait changé d’ère et la déception l’emporta sur la nostalgie, mais, concernant notre Chouf, je revois encore ce pompiste me demandant, après m’avoir enjoint de retirer le bouchon de mon réservoir : « Vous le vendez combien votre chien ?« . Ou bien encore la tête des douaniers un tantinet énervés par les grognements et m’intimant : « Faites descendre les femmes et le chien ! »

Seul le bateau dépassait ses possibilités d’accompagnement. Elle s’y trouvait totalement désemparée, roulant sur ses pattes, glissant sur ses griffes. Pas malade, non, simplement hors d’état. Elle le voulait pourtant, jusqu’à parvenir un jour à se faufiler dans l’entrebâillement de la porte du fourgon laissé en stationnement  sur une rive de la Vilaine, et parcourir dans une eau pas chaude du tout la centaine de mètres la séparant du bateau.

Sa vie à La Turballe était plutôt paisible. Elle avait bien compris l’accès interdit au trottoir, se laissant quand même emporter quelquefois par les minauderies provocatrices d’un chat de passage. Je la revois frétillant d’impatience devant les paniers posés sur les porte-bagages des cyclomoteurs des pêcheurs ramenant leur godaille, arrêtés devant notre petit distributeur de carburant pour moteurs deux-temps ; quelques uns lui tendaient bien une sardine ou même un maquereau, mais je la soupçonne malgré tout d’avoir elle-même prélevé à maintes reprises les poissons lorgnés. Elle avait compris également les droits d’accès qu’avaient les clients : accès libre au magasin ainsi qu’au pas de l’atelier, accès contrôlé par quelques grognements croissants au fur et à mesure de la proximité avec l’établi, accès strictement interdit au jardin qui prolongeait les bâtiments. Je vis un jour une dame traverser l’atelier et se diriger vers le jardin pensant vraisemblablement y trouver un interlocuteur. Indigné de tant d’audace, Chouf a bondi, poussé une gueulante et poursuivi l’intruse, laquelle s’est retournée, a claqué un ferme « Toi, ta gueule ! » qui a stoppé net notre brave chien de garde et l’a réduit en simple toutou contraint de rentrer à la niche. La scène m’a rappelé cette promenade près des remparts de Carcassonne au cours de laquelle notre Chouf préféré s’est mis à courser un gros chat noir ; las de fuir ou ayant pris la mesure exacte du danger, le chat fit volte-face, hérissé de tous ses poils, les griffes saillantes, des éclairs dans les yeux, largement de quoi convaincre notre sage toutou que le jeu n’en valait finalement pas la chandelle.

Je n’ose avouer que j’ai un peu oublié la façon dont notre chien a quitté sa condition de fidèle compagnon. Il est mort de vieillesse, c’est bien sûr, une vieillesse sans doute accélérée par l’énorme choc provoqué par une voiture alors qu’il traversait une petite route pour rejoindre son poste dans le fourgon dont j’avais eu le tort de lancer le moteur. Il me semble l’avoir retrouvé inerte, un matin, à l’ouverture de mon atelier. Bêtement, j’ai pleuré …

Retour à l’enseignement

Quand je suis rentré dans l’entreprise HÉRIGAULT SARL,  chauffage, sanitaire, électricité, électroménager, cycles et cyclomoteurs, taxi et ambulance, elle utilisait les compétences familiales, diverses et variées de sept personnes et avait bien de quoi m’occuper en tant que gérant (devis, factures, petites études thermiques) et personnel d’appoint au magasin, à l’atelier, sur les chantiers de plomberie ou d’électricité ou pour les courses de taxi. Armand, l’un des jumeaux a quitté son travail d’électricien dans l’entreprise dès la première année, puis Colette a préféré reprendre un mi-temps d’enseignement, gardant une main bénévole sur la compta mais n’assurant plus de présence au magasin, puis Martine, l’épouse de mon jeune frère Didier est partie élever sa petite famille, puis mon père, en retraite, s’est cantonné dans son atelier de mécanicien dilettante mais bien précieux, enfin Lionel, le deuxième jumeau est parti exercer ses talents de plombier dans sa petite entreprise personnelle. Si bien qu’au bout d’une dizaine d’années je me suis retrouvé gérant tournant à vide entre les activités de Didier, bien capable dans tous les domaines mais forcément limité dans la quantité des réalisations, le magasin où les ventes n’allaient pas augmentant et l’atelier de mécanique qui, de toutes les activités,  présentait sans doute le rapport le plus faible.

Si j’avais eu vraiment l’esprit d’entreprise, j’aurais embauché plus systématiquement que je n’ai tenté de le faire en plomberie après le départ de Lionel. Si j’avais eu la fibre commerciale, j’aurais fait des actions, développé des produits, je serais allé au devant du client au lieu de proclamer haut et fort que je ne vends rien, moi monsieur, on m’achète ! J’étais mauvais et paniqué de constater qu’à 45 ans mes possibilités d’expression, de création fondaient et qu’avec elles, ce sont mes potentialités elles-mêmes qui disparaissaient. Je me sentais devenir idiot.

À la fin de l’été, après une saison comme une autre, j’ai signalé à la Direction Départementale de l’Enseignement Catholique, à moins que ça ne soit plutôt auprès des Frères de Lamennais mon souhait de reprendre du service dans l’enseignement après près de 20 ans  d’interruption. Je n’y croyais pas trop pour différentes raisons. D’abord parce que j’ avais quittés ces derniers en claquant la porte, rompant précocement un contrat liant leur aide financière pendant mes études à cinq années de service dans leurs établissements. Ensuite parce que la pénurie de profs qui justifiait cette aide avait vraisemblablement disparu et qu’ils n’avaient plus besoin de mes services.

Eh bien je me trompais. La chance sans doute. J’étais un peu connu de l’équipe – profs et directeur – du collège Saint-Joseph d’Herbignac où Colette enseignait depuis presque 15 ans ; j’assistais à leurs repas de fin d’année, un peu énervé par leurs grands soupirs « Nous sommes épuisés ! Ces vacances sont bien méritées …« , je participais aux anniversaires des uns, aux promotions des autres. Frère Bernard, directeur donc, m’a gentiment proposé dès le premier trimestre scolaire deux semaines de remplacement en maths dans son établissement. Puis, dès la rentrée du deuxième trimestre, la DDEC sus nommée me proposa un remplacement également en maths un peu plus long au lycée Notre-Dame de Saint-Nazaire, suivi d’un remplacement toujours en maths mais aussi en physique au lycée-collège mennaisien Gabriel-Deshayes de Saint-Gildas-des-Bois. Enfin, le collège également mennaisien Saint-Louis de Saint-Nazaire où j’avais débuté ma carrière de prof de physique plus de 20 ans auparavant m’a proposé un remplacement en maths pendant tout le dernier trimestre. Et puis, et puis un nouveau lycée confié à la tutelle des Frères de Lamennais était en construction à Guérande ; il aurait pour premier directeur Frère Bernard et avait besoin d’un prof de physique pour la rentrée. J’étais heureux, l’enseignement avait encore besoin de moi !…

Petites frondes au collège

Je ne me souviens plus quelles raisons ont incité mes parents à me mettre en pension pour ma quatrième au collège Saint-Jean-Baptiste de Guérande. J’étais sage et j’avais de bons résultats … peut-être pour libérer un peu la maison et accorder plus de temps à mes frères, les jumeaux ? Je ne m’en souviens pas en tout cas comme d’une année pénible, ni même comme d’une année de rupture. Je revenais chaque week-end à la maison, ce qui n’était pas le cas de tous les pensionnaires puisqu’une certaine « bonne conduite » conditionnait la permission de sortie. Je crois bien n’avoir été retenu qu’une seule fois, peut-être pour mon entêtement à refuser d’apprendre par cœur la liste des départements, non que j’en étais incapable mais parce que je ne le voulais pas, na ! Le dimanche de ce week-end un peu spécial nous a vu marcher jusqu’à Pen Bron – ce qui fait quand même une bonne petite trotte – où, à défaut de nous baigner, nous avons pu gambader sur la plage et dans l’eau. Je revois encore l’élève de la 4ème A, un certain Neveu, revenir de l’eau assez profondément blessé pour avoir couru sur un des très nombreux « couteaux » fichés verticalement dans le sable fin à certaines heures de la marée.

Il est possible que la pension m’ait rendu un peu bêtisier, le petit bricoleur qui était en moi s’ennuyant de ne plus avoir sous la main comme à l’atelier paternel de quoi occuper ses mains et son esprit. J’en ai une illustration bien précise. Nous avions inventé de nous bombarder les uns les autres, dans le dos des profs, de petits projectiles en papier. Pas que du papier rapidement mâché et introduit dans la tige bien droite d’une pointe bic utilisée comme sarbacane, non. Nous pliions un bout de feuille de papier pour faire un objet de quelque 5×20 mm et qui, plié une dernière fois en deux pouvait se pincer sur un élastique tendu entre le pouce et l’index et donc constituer un projectile. J’ai dû trouver un jour que la chose était améliorable. Avec les rayons de vélo dont mon père possédait toutes les sections et longueurs, j’ai confectionné comme de petits lance-pierres adapté à nos projectiles. Et pour que ça soit plus marrant, j’en ai distribué une dizaine aux élèves demandeurs de ma classe. Ça faisait mal, surtout quand le papier bien dur vous arrivait derrière les oreilles. Et rétrospectivement, je dirais même que c’était potentiellement dangereux. L’affaire dégénéra rapidement en bataille rangée un soir au dortoir. Peu après l’extinction des feux et le retrait du surveillant dans sa chambrette, les armes sont sorties du dessous des matelas et les projectiles ont volé. La plus grosse partie de ma fabrication fut découverte et bien sûr confisquée. J’ai gardé mon lance-boulette personnel bien longtemps sans jamais plus oser l’utiliser. Un miracle sans doute : je ne fus jamais inquiété.