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La dernière

Ma dernière année de travail professionnel fut un vrai plaisir. D’abord parce qu’elle allait me permettre d’en finir avec tout un pan de mon activité qui  commençait à me déprimer sérieusement et surtout parce qu’elle allait être la délicieuse cerise sur le gros gâteau de mon cœur de métier, pour ne pas dire mon métier de cœur, l’enseignement.

Je m’étais amusé avec l’outil informatique peu de temps après l’apparition de la micro-informatique et donc l’accessibilité de ces outils aux petits budgets. Assez tôt, j’avais construit des petits programmes en basic pour animer le magasin dont je m’occupais alors et, plus tard, exploité des logiciels de gestion et comptabilité pour l’entreprise. L’informatique m’étais donc suffisamment familière pour que, après mon retour dans l’enseignement, je sois chargé d’un cours intitulé d’abord « Informatique et Électronique en Sciences Physiques« , puis « Mesures Physiques et Informatique« . Jusque là, tout va bien. Suite à ma modeste participation à une démo sur l’utilisation de l’informatique dans l’enseignement, on m’a proposé de détacher la moitié de mon temps d’enseignement pour travailler comme animateur auprès des profs afin de promouvoir les « Technologies de l’Information et de la Communication dans l’Enseignement« , les T.I.C.E. Et c’est alors que ça s’est gâté. Parce qu’enseigner à des jeunes, ce n’est pas toujours facile, mais ça reste de la tarte comparé à la formations d’adultes – fussent-ils profs – pas forcément demandeurs, souvent méfiants, parfois récalcitrants. Ma motivation initiale s’est assez vite effondrée et ma dernière année dans le job fut donc celle de la délivrance.

Par bonheur, le mi-temps d’enseignement de cette dernière année m’a donné une classe magique, une classe de vingt-quatre élèves vraiment scientifiques dans une Terminale scientifique. Étonnant, non ? Certains – plutôt des garçons, mais je veux croire au hasard – étaient excellentissimes, capables de me composer des devoirs quasi parfaits sur des supports numériques tels que je le faisais moi-même pour leur distribuer mes corrigés (il m’est d’ailleurs arrivé à plusieurs reprises de proposer comme devoir-type la rédaction de l’un d’entre eux, estimant que je n’aurais pas fait mieux). Tous les élèves n’étaient pas super-doués bien entendu, il y en avaient même des tout à fait normaux, des filles et des garçons pour le coup. Mais l’ensemble formait un groupe, les grosses têtes ne se la jouant pas et les moins grosses ne se la prenant pas. Les cours étaient un plaisir : systématiquement armé d’un vidéo-projecteur, mon diaporama affichait sa démonstration au fur et à mesure que nous la construisions ensemble ; j’étais comme le prof qui écrit au tableau les réponses attendues de la part de ses élèves, sauf que je n’écrivais pas le dos tourné à la classe mais avec la télécommande, au milieu de mes élèves, la parole libre et l’écoute attentive.  Parmi les attentions les plus importantes, il me fallait guetter les décrochages, veiller à laisser assez de blancs afin que les esprits soufflent sans souffrir, surtout ne pas amener les élèves « normaux » à penser que finalement, ils étaient bien faibles.

Tout au long de cette dernière année devant élèves, j’ai donc pu savourer à loisir toutes les dernières fois ; dernière rentrée, dernière veillée de Noël, dernière réunion de parents d’élèves, dernier conseil de classe, dernier cours, dernière surveillance de bac, … Je n’ai malheureusement pas pu en faire un film comme l’ont fait certains, mais la réalité du film aurait-elle été aussi belle que le cinéma désormais installé dans ma petite tête ?

Service national

À dix-huit ans j’étais antimilitariste, viscéralement, sans beaucoup de réflexion préalable. « C’est pas bien la guerre« , point. J’avais grandi aux milieu de quelques échos de la guerre d’Algérie, un peu affolé de voir qu’elle n’en finissait pas et que le moment approchait où je devrais y aller à mon tour. Merci mon Général. Après mes trois jours dans la caserne de Blois, trois journées dites de sélection, mon aversion s’étoffa du dégoût du milieu militaire lui-même dans lequel j’ai vu une machine à pas penser servie par des gens dont la valeur principale résidait dans l’habit. Je n’étais pas le seul dans cet état d’esprit. Après les tests, la trentaine d’heureux sélectionnés dut subir la harangue d’un petit gradé les invitant à s’engager chez les les E.O.R., les « Élèves Officiers de Réserve ». Devant la salle mutique et négative, le petit homme devint tout rouge, s’enflamma : « Quoi ? Personne ? La coopération ? C’est ce que vous voulez faire, la coopération ? Mais il y en a marre de la coopération !« .

Il voyait juste : la « Coopération » déployée par la France dans certains pays demandeurs était le choix des « Volontaires au Service National Actif « . Pour les autres appelés, je ne sais pas, mais pour moi elle était l’espoir d’éviter la caserne, ses alignements d’obéissants, ses corvées (dé)formatrices, ses paquets de gauloises sans filtres, son abêtissement dans la sous-culture (le visionnage pendant ces trois jours au sein de la caserne de « Cause toujours mon lapin« , avec Eddie Constantine, ne m’a pas rassuré sur ce point), bref, tout ce que je supposais indispensable à la constitution d’un bon soldat et particulièrement néfaste à celle de citoyen.

Par bonheur, mes études m’avaient permis de repousser l’incorporation. J’étais sursitaire et ce petit sursis m’avait de plus donné une chance supplémentaire d’y couper, me fournissant un métier très demandé par les  instances gérant les VSNA : l’enseignement. Dès ma première année d’enseignement comme prof de physique au lycée Saint-Louis de Saint-Nazaire, j’ai donc déposé ma candidature, demande finalement non acceptée alors que, de façon très optimiste,  j’avais déjà démissionné de mon poste pour l’année suivante. Je grondais déjà dans ma barbe naissante que si je ne pouvais pas éviter l’incorporation, je me déclarerais objecteur de conscience, préférerais la prison où j’aurais beaucoup de temps pour me cultiver plutôt que la caserne où je m’ensauvagerais dans le même temps, …

Je ne me souviens plus pourquoi, j’eus droit à une deuxième chance. Deux demi-postes d’enseignement m’ont été donnés au lycée Saint-Charles d’Angers et au lycée-collège de La Salle de Vihiers, me permettant de présenter une deuxième demande comme VSNA. Mais, pour assurer le coup cette fois, mon père m’a proposé d’en parler à l’un de ses clients, banquier autoproclamé puissant et effectivement reconnu tel par le petit peuple. Le piston, j’exècre. Mais entre deux détestations, il faut bien choisir et, ravalant ma honte, j’ai laissé mon père demander humblement l’intervention de notre seigneur (et pas tout à fait maître, faut pas exagérer …). Piston efficace ou pas ? Toujours est-il que la seconde fois fut la bonne et qu’il me fut permis à la rentrée suivante d’embarquer pour l’Algérie avec femme et enfant pour y effectuer un Service National sans aucun relent militaire. Formidable, n’est-il pas ?

Marin chanceux

Un marin vieux est un marin chanceux. Au moins dans les conditions où j’ai vécu la marine : à voile, sans les prévisions météo et les systèmes de positionnements actuels, plongé dans les forces à la fois fluides et massives que développent les  vents et les houles, le nez pointé vers le ciel et l’œil fixé sur l’horizon, immergé, seul.

J’ai vécu quelques fortunes de mer avec Scipio, des pas trop graves qui auraient pu dégénérer et des bien pesantes qui se sont heureusement bien terminées. La chance …

Je revois encore cette rentrée des îles en solitaire, vent de sud soutenu, un ris dans la grand’voile par précaution, génois lourd pour propulser au mieux le canote vers La Turballe. Mais ça gîtait fort. Trop fort sous les claques de vent. Bizarrement, je ne me souviens plus de la saison, je sais que l’air était bien frais, que ça mouillait pas mal, eaux vertes et eaux bleues confondues et que j’étais en bottes et ciré. Il m’a fallu à un moment reprendre l’écoute de génois qui présentait trop de creux pour le près souhaité. Manivelle sur le winch, cul posé sur l’hiloire, pied gauche calé sur le rail de fargue, dormant d’écoute dans la main droite … ça tourne ! Un geste mille fois réalisé pourtant, mais cette fois-là, sans que j’aie vraiment eu le temps de réaliser ce qui m’arrivait, je me suis vu glisser sous la filière, absorber presque entièrement par les vagues sous le vent, l’écoute encore dans la main droite et – chance ou réflexe vital ? – la main gauche solidement refermée sur l’extrémité de la filière. C’est fou l’énergie qu’on peut développer parfois dans l’urgence … je me souviens avoir pu saisir le balcon arrière de Scipio et m’être littéralement propulsé à son bord, bien aidé par le fait que le largage de l’écoute avait quasiment stoppé le bateau. Ouf ! Reprenons nos esprits … la vie est trop courte, inutile de l’abréger si bêtement … Avant de remettre en route, si j’enfilais un petit harnais au cas (improbable :- ) où ?…

Scipio n’a pas été le seul témoin de mes alertes en mer. J’en avais déjà connu un certain nombre avec Milvan et j’en connaissais sur d’autres bateaux, en particulier lors de régates comme celle du Spi Ouest-France à La Trinité ou de courses-croisières vers l’Espagne ou le Portugal. Lors d’un franchissement du cap Finisterre par exemple, j’étais équipier sur le Mélody d’un bon copain voileux devenu mon meilleur ennemi pour des raisons et dans des circonstances qui valent un ou plusieurs chapitres. Les vents de nordet, plein-cul, se renforcent alors que nous arrivons à la nuit tombante sur la zone, à quelque 30 milles de la côte espagnole, sous spi. Ça commence à piauler fort, la houle monte et les spis des bateaux concurrents descendent les uns après les autres. Un seul fait encore de la résistance, le nôtre. « Si t’affales, t’es un lâche » … Derrière la barre à roue, le barreur s’épuisait vite au contrôle des mouvements pendulaires déclenchés par la montée sur la houle prise un peu de biais et amplifiés par la géométrie du Mélody et la présence du spi. Les départs au surf, pourtant bien difficiles avec ce type de bateau, généraient une vague d’étrave dépassant largement la hauteur du pont de chaque côté. Impressionnant. Mais tout est risqué qui ne finit pas forcément bien : un départ moins bien contrôlé dans la nuit de plus en plus profonde a envoyé le spi deux fois autour de l’étai. La cata s’il le nœud ainsi formé devait se souquer et n’être plus libérable qu’à coups d’opinel. Ni une ni deux, sans prendre le temps d’enfiler des harnais, mais très concentrés, l’ami Didier et moi-même sommes partis dans le balcon avant, lui étant grimpé le plus haut possible et moi agrippé au balcon et l’assurant de toutes mes forces. Souvenir impérissable … Monseigneur le spi a bien voulu descendre. Mais la course continuait et c’est un bateau sous génois lourd tangonné que la houle soulevait avec de plus en plus de hargne. Pour le barreur, mieux valait ne pas la voir venir et rester concentré sur les mouvement de l’instant. À plusieurs reprises, le bateau est parti dans une auloffée irrécupérable, se retrouvant pendant de longues secondes couché travers au vent et à la vague, stoppé net, l’extrémité de la bôme dans l’eau, le tangon pointé vers le ciel, le génois à contre. La position inconfortable mais stable de la cape … Par un mécanisme que je n’ai toujours pas totalement compris (la barre aidant forcément entre deux accès de houle), le bateau finissait par se remettre en ligne et reprenait sa route dans un énorme claquement du génois. Le mât du Mélody, un pieu pourtant généreusement calibré avait alors une vibration qui me semblait énorme ; je me souviens avoir pensé à la possibilité de démâtage, pensé qu’il faudrait bien faire avec, que les risques de la côte étaient éloignés mais que les secours ne l’étaient pourtant pas trop. Et puis le vent a molli progressivement dans la nuit, la mer est retombée, l’équipage s’est endormi laissant deux marins – increvables ou insatiables – se relayer à la barre. J’en étais, bien sûr :- )